L'Église de Satan
voilà seuls !
Sois heureux d’être encore des nôtres, et de défendre notre belle Occitanie. Allons !
Donnez-lui un drapeau, et qu’il gagne l’escorte !
— Mais…
Trencavel l’interrompit.
— Je n’ai pas le temps de faire la
conversation.
— Je veux sortir d’ici !
— Je t’en donne une belle occasion. Et
cesse de gémir…
Il se détourna et rejoignit ses soldats en
grommelant :
— … J’ai une ville à sauver, par Dieu.
Mais va-t-on me
dire ce que je fais là ?
Escartille, juché sur un vieil alezan au sabot
lourd et crotté, son étendard en main, vit les immenses portes de la ville de
Carcassonne s’ouvrir devant lui.
La population s’était de nouveau rassemblée
tout autour d’eux. Elle s’écartait devant les cavaliers. Escartille fut
bousculé ; les chevaux piaffaient derrière lui. L’un d’eux se cabra en
hennissant.
— Avance ! Avance donc !
L’escorte s’ébranla. Escartille, les yeux
écarquillés d’horreur, ne cessait de tourner la tête vers la fenêtre du donjon
où devaient se trouver Aimery et Léonie. Il aurait tout fait pour revenir en
arrière, mais la foule était trop compacte. Il était jeté au-dehors, son vœu n’était-il
pas exaucé ? Il sortait de la ville ! Mais seul.
Non, non, non !
Escartille continuait de regarder autour de
lui, désemparé. Il passa à côté du cadavre d’un cheval, que l’on avait éventré
pour se nourrir, à moins qu’il n’eût succombé à une quelconque maladie. Ses
entrailles, dévorées d’insectes, gisaient au-dehors. Plus loin, c’était un bœuf,
et un autre encore, qui avaient subi le même sort. Des femmes et des enfants en
guenilles s’en approchaient ; d’autres montaient dans les citernes, s’échangeaient
des gourdes presque vides. À présent qu’il sortait de sa chambre, Escartille
pouvait constater que la situation était bien pire qu’il ne l’avait pensé.
Trencavel, pris à la gorge, tentait une
contre-proposition.
Un parlement venait d’être dressé devant la
cité, sous le pavillon du comte de Nevers.
Trencavel s’y rendait avec cent chevaliers et
de nombreux pages de sa suite. Escartille était derrière lui, à quelque
distance. Il voulut s’arrêter. Comment ? Il était encadré par une forêt de
lances. Qu’il s’avise de dévier de ce flot et on l’eût submergé sans vergogne. Au-dehors,
le paysage des tentes cernant la cité était assez comparable à celui que le
troubadour avait vu à Béziers. Il pestait contre Dieu et tous les saints, éternuant
de temps à autre sous l’effet d’un nuage de poussière ; ou bien c’était
une nuée de mouches qui venait virevolter autour de lui, se poser sur son front,
sur son nez, sur la crinière ou la croupe de son cheval. Il entendait ce
cliquetis terrible des armes que l’on préparait, et qu’il ne connaissait déjà
que trop ; gonions, heaumes et gamboisons, de Chartres, d’Edesse ou de
Blaye luisaient sous le soleil d’août. Les chevaliers avaient glissé leur bras
sous l’écu, frappé d’emblèmes héraldiques ; et l’escorte avançait vers ce
pavillon maudit où Arnaud-Amaury, comme une vipère au fond de son antre, attendait
le jeune vicomte assiégé. En arrivant en vue du pavillon, non loin du bois où, hier
encore, le roi d’Aragon avait établi son camp, Trencavel leva la main. L’escorte
s’arrêta.
Le vicomte descendit de cheval.
Il s’apprêtait à se rendre sous la tente. Il
fit signe à trois de ses chevaliers et se tourna vers ses pages et ses hérauts.
— Que deux d’entre vous m’accompagnent. Et
levez haut vos enseignes ! Soyez fiers de notre défense.
Escartille ferma les yeux.
Seigneur Jésus-Christ, ne me dites pas qu’ainsi
le sort peut s’acharner toujours sur la même créature.
— Allons, troubadour !
Toi qui as pu constater la cruauté de ces hommes à Béziers, viens. Viens donc
les prendre de face, et voir à quoi ils ressemblent.
Escartille serra les dents.
Laissant l’escorte à bonne distance, Trencavel,
ses chevaliers, Escartille et un autre homme avancèrent en direction du
pavillon. Arnaud-Amaury reçut le vicomte comme il avait reçu la délégation de
Béziers, entouré de ses chefs de guerre, ainsi que de nouveaux prélats qui l’avaient
rejoint sur le chemin de ses tristes conquêtes. Parmi eux, Escartille repéra un
homme qui lui parut aussitôt plus terrible et antipathique que les autres. Il s’appelait
Aguilah et, comme le
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