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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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Pierre II
reviendrait malgré l’échec de sa médiation à Carcassonne. Mais le « destin
de l’Occitanie » était un lourd fardeau, et le troubadour n’avait d’autre
envie que de laisser passer cette guerre sans y prendre la moindre part, en
dépit des coups du sort répétés qui le lançaient sans cesse au-devant des pires
dangers. Aimery ! Louve ! Voici ce qui l’inquiétait. Escartille
galopait, virevoltait comme une abeille ivre, et ne trouvait chaque fois devant
lui que l’effet de la cruauté de Montfort et du suppôt obscur de la cause
ennemie, l’évêque Aguilah. Le troubadour passait au milieu des villes, des
campagnes et des villages, et un seul mot lui venait à l’esprit : la
terreur. Les cathares les plus réputés allaient maintenant se réfugier dans des
abris sûrs, les parfaits troquaient leur robe noire contre des vêtements moins
voyants, les seigneurs occitans s’agenouillaient devant l’ennemi ou fuyaient
vers la montagne. Oui, l’Église était entrée de pied ferme en Occitanie ; elle
avait cruellement frappé le cœur de la population ; mais le comte de Foix,
qui campait dans les monts de l’Ariège, avait encore toutes ses forces, et
Raymond VI représentait toujours une menace. Montfort, aidé de Guy de
Lévis, Bouchard de Marly, des frères Amaury, de Normands, Champenois et autres
auxiliaires du Nord, multipliait alors les coups de force et cherchait à
frapper les esprits.
    En chemin, Escartille arriva à Bram, non loin
de Cabaret ; ce fut pour apercevoir les croisés qui venaient de se saisir
du château après une résistance de trois jours. Montfort fit sortir la garnison.
Escartille était caché sur une colline voisine quand il comprit ce qui était en
train de se passer. De loin, il ne distinguait que les troupes de Montfort et
une centaine de silhouettes, celles des soldats que les Français venaient de
faire prisonniers. On les avait alignés en rangs successifs. Le troubadour
entendit alors des cris déchirants ; il ne put deviner ce qu’il en était
exactement, mais il lui sembla que l’on faisait défiler les vaincus à tour de
rôle devant un groupe de croisés brandissant l’épée. Il pensa que leur tâche
était d’occire chacun des malheureux, en permettant aux autres d’assister à ces
mises à mort. Il vit également que l’on avait allumé des torches, au beau
milieu du jour. Passé les hurlements, pourtant, les prisonniers ne s’effondraient
pas sur le sol pour rendre l’âme. Ils étaient relevés de force et un autre
groupe de chevaliers catholiques les entraînait un peu plus loin, avant de les
enchaîner les uns aux autres. À l’approche de la population – une foule de
petites gens qui provenaient des bourgs décimés du voisinage – Escartille se
décida à sortir de son repaire et descendit la colline, tout en restant encore
à bonne distance des forces de Montfort. Si Bram était tombé, le château de
Cabaret, en revanche, situé plus au nord, résistait encore. Une idée abominable
avait alors germé dans l’esprit de Montfort pour impressionner les défenseurs
adverses. Au moment où Escartille s’arrêta, tous les prisonniers, loqueteux, plaintifs
et ensanglantés, étaient attachés les uns aux autres en file indienne. Les
cohortes de croisés relevèrent bientôt leurs fanions et s’ébranlèrent
lourdement, encadrant cette procession terrible qui commençait son ascension
vers Cabaret.
    Lorsqu’il comprit enfin ce qui s’était passé, Escartille
dut se retenir de vomir.
    Les prisonniers marchaient deux à deux. On
venait de leur brûler ou de leur arracher les yeux. Ils avançaient en
claudiquant, deux coulées de sang jaillies de leurs orbites, leurs paupières
disparues sous la chair à vif, ou noires et puantes ; certains, en outre, avaient
eu le nez coupé, dont un morceau pendait parfois au-dessus de leurs lèvres, cisaillées
elles aussi. Il montait de cette colonne décharnée des cris et des gémissements ;
des prisonniers tombaient à genoux de souffrance et d’épuisement, on essayait
de leur porter secours, pour être aussitôt repoussé par la garde. Elle aussi
relevait les victimes qui s’effondraient ; mais c’était pour les forcer à
marcher encore. La procession s’arrêtait alors quelques instants, puis
repartait sur un rythme haché, dans de nouvelles plaintes. « Cela suffit, donnez-leur
de l’eau, soulagez-les ! » Des réactions de plus en plus vives
fusaient parmi les

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