L'Église de Satan
atrocités commises en son nom et celui du
Christ, il avait adressé des lettres de réprimandes sévères à Arnaud-Amaury et
Simon de Montfort. Un concile avait été convoqué à Lavaur en toute hâte, opportunité
décisive pour le comte de Toulouse de s’y disculper. Mais entre-temps, les
évêques catholiques avaient persuadé Innocent de revenir sur des positions plus
fermes à l’égard de leurs ennemis. Si bien qu’une nouvelle fois, les comtés de
Béziers, de Foix et de Comminges étaient déclarés hérétiques. Simon de Montfort,
de son côté, réunissait à Pamiers une assemblée chargée d’établir de nouveaux
statuts politiques pour le pays : il accordait à l’Église des privilèges
étendus, confirmait les dîmes et les redevances, et se préparait à poursuivre
sa décapitation en règle de la noblesse locale. Les coups de théâtre et les
retournements de situation ne cessaient de se succéder et, tandis que l’on
tergiversait, Toulouse devenait bel et bien aragonaise. Lieutenant du roi, le
chevalier de Scala, dépêché par Pierre II, s’était installé dans la ville
comtale ; les barons catalans se répandaient dans les rues pour y faire la
cour aux dames. Personne n’était plus dupe de l’affrontement qui se préparait. Le
roi d’Aragon était reparti réunir son armée à Barcelone. Raymond VI savait
qu’il pénétrait en ce moment même en Occitanie par la Gascogne, sous les
acclamations de la population.
Escartille descendit de cheval au milieu
des soldats qui encadraient le comte.
— Sire comte ! Je savais que je vous
trouverais ici.
Raymond n’avait pas la tête à écouter le
troubadour qui s’avançait vers lui avec tant de candeur, au point de surprendre
ses archers. Il attendait d’un moment à l’autre les émissaires des légats du
pape, qui devaient lui porter une nouvelle proposition de négociations. Revêtu
de son haubert de mailles, la main sur l’épée, Raymond tourna vers Escartille
un regard oblique. Sa petite troupe, surprise elle aussi, se préparait à toutes
les éventualités.
— Qui est-ce, celui-là ?
— Je suis Escartille de Puivert, sire
comte, l’un de vos plus fidèles sujets. Pardonnez-moi de venir ainsi me placer
sous votre protection ! Mais j’ai vu les derniers instants de liberté de
votre neveu, sous le pavillon du comte de Nevers, où se tenaient Simon de
Montfort et Arnaud-Amaury. Je n’ai cessé de fuir par tout le pays, et d’y
chercher mon jeune fils, qui a disparu à Carcassonne. Je ne sais plus que faire
ni où aller : je n’ai plus que vous vers qui me tourner !
Déjà, la garde s’était saisie de lui pour l’emmener ;
Raymond marqua un temps d’hésitation, puis fit signe à ses hommes.
— Tu ne manques pas d’audace, troubadour,
de venir ici. Sais-tu où tu te trouves ?
— Au milieu de la guerre, sire comte, croyez-moi,
je le sais plus que quiconque !
— Tu as vu mon neveu se faire prendre, dis-tu ?
— Oui, sire Raymond, je l’ai vu, j’ai été
entraîné moi-même au milieu de ces événements incroyables, et je ne puis y
repenser sans un chagrin profond, je…
— Tais-toi, dit soudain Raymond en
apercevant, au loin, un groupe de cavaliers qui venaient dans sa direction. Nous
verrons cela plus tard.
Tandis que les cavaliers s’approchaient, l’un
de ses hommes lui tendit un parchemin dont il prit rapidement connaissance. Il
fronça les sourcils et hocha la tête.
— Rendez-vous est pris, mes amis ! Pierre II
nous rejoindra en mon fief de Toulouse. Voici donc où nous en sommes aujourd’hui.
Albi est tombée, et Castres, et Caussade, Fanjeaux, Gontaud, Mirepoix, Puy-le-Roque,
Saverdun, Tonneins ; le château de Termes a succombé après neuf mois de
siège ; la garnison d’Alayrac a été massacrée ; les prisonniers de
Bram ont été mutilés…
Et le comte continuait de lire le rouleau qu’il
avait sous les yeux.
Il porta une main gantée à sa tête.
Ils sont partout. Nous sommes submergés !
Minerve : cent quarante cathares
brûlés.
Lavaur : quatre cents hérétiques portés
au bûcher.
Quatre-vingts hérétiques ont été jugés aussi à
Strasbourg, nous a-t-on rapporté.
Ananclet : massacrés.
Auterive : brûlés.
Biron,
Castelsarrasin, Cauzac, Hautpoul : assiégés et massacrés.
Montgey : totalement détruit.
La liste était interminable.
Le comte roula le parchemin en exhalant un
soupir de chagrin et de colère. Les volutes de son
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