L'Église de Satan
qui se
présentait en conquérante à l’intérieur de ses murs. Lorsque l’on était venu la
trouver, elle s’était dressée devant eux en s’écriant : « Vous voici
donc ! Eh bien, sachez, vous qui vous pensez vainqueurs, qu’en venant ici
vous vous perdez tout à fait. Oui, il y a deux Églises aujourd’hui : l’une
possède et écorche, l’autre fuit et pardonne. Et c’est la vôtre que vous
couvrez de honte ! » Sans doute n’avait-elle pas imaginé que l’on
transgresserait toutes les lois de l’honneur pour lui préparer une fin si
terrible. Elle fut traînée hors du château, avec une brutalité inouïe. Elle
avait les vêtements à moitié déchirés ; on commença par la lapider, des
volées de pierres aiguisées vinrent écorcher son front, ses bras, sa poitrine, ses
jambes. Puis on la précipita au fond d’un puits où, sans doute, elle dut se
briser les deux jambes. Enfin, on boucha l’accès au puits par de nouvelles
pierres. Elle expira ainsi, dans les entrailles de la terre, dans l’obscurité
humide de ce puits où elle jeta son dernier souffle, ensevelie vivante sous des
quintaux de roc.
Les quatre cents hérétiques furent brûlés non
loin d’elle.
La neige tomba sans que la quête d’Escartille
ait trouvé la moindre issue. Le troubadour ne comptait plus les jours. Les
collines et les montagnes furent enveloppées de blanc. Le cours des ruisseaux
sembla un moment se figer, ainsi que la nature tout entière. Les oiseaux
cessèrent de chanter. Les rongeurs allèrent s’enfouir dans leurs tanières. Le
ciel des saisons chaudes avait disparu sous les nuages.
Ce fut dans la ville d’Arles, et non à
Toulouse, que le troubadour, en désespoir de cause, alla trouver le comte
Raymond. Après le sac de Béziers, puis la mort de son neveu à Carcassonne, Raymond
n’avait pas passé un jour sans ruminer sa colère et son chagrin. Les conquêtes
répétées de Montfort avaient sur son cœur des effets contradictoires. Elles le
confortaient dans sa résolution de rassembler des troupes, tout en lui signifiant
chaque fois avec un peu plus d’acuité que le choix des armes risquait davantage
de condamner l’Occitanie que d’assurer sa libération. Sitôt qu’il se trouvait
entraîné par son désir de vengeance, ce qui lui restait de lucidité l’invitait
au contraire à rester prudent. Chaque geste tourné contre l’ost français
retirerait au pape la possibilité de revenir à une plus grande clémence, et
légitimerait du même coup la croisade lancée contre lui. Ce dilemme n’avait
cessé de l’obséder. Un jour, il tonnait contre lui-même qu’il lui fallait
prendre enfin la décision de braver l’ennemi et décidait de ne plus balancer. Il
se promettait de prendre les armes dès le lendemain. Mais, la nuit passée, il
revenait à la raison. C’est qu’avant d’être le suzerain guerrier et vengeur d’une
Occitanie aux abois, Raymond se sentait dépositaire d’une civilisation dont les
espoirs reposaient sur un gouvernement pacifique et éclairé. Amoureux de poésie
et de liberté, sa finesse et sa hauteur de vues ne pouvaient que se retourner
contre lui.
À ses yeux, une seule guerre valait la peine :
une guerre politique, qui consistait à gagner le cœur du pape. Il s’était rendu
auprès de lui pour plaider sa cause, en livrant aux croisés son fief narbonnais
en gage de sa bonne volonté. Il en restait à l’attitude qu’il avait déjà
adoptée à Saint-Gilles : ployer pour mieux se relever ensuite, lorsque
serait passée la tempête, et arracher au pape la suspension des hostilités. En
son absence, les clercs catholiques de Toulouse n’avaient cessé de multiplier
les brimades. Le peuple, exaspéré, s’était soulevé sous la houlette des
bourgeois et des consuls de la ville. Avancées, contre-avancées, pourparlers et
négociations continuaient à vive allure, et au milieu de ces calculs sans fin, chacun
poussait tour à tour des pions qui venaient enliser un peu plus l’Occitanie
dans l’incompréhension et la poursuite des combats.
Pendant ce temps, les relations du comte avec
la maison d’Aragon avaient continué, comme on le disait dans tout le pays. Le
roi s’était même décidé à entamer également une action diplomatique d’envergure
auprès d’Innocent III. Il avait cru, un moment, marquer des points
décisifs : le pape l’avait écouté avec attention et, soudain perplexe
devant le récit qu’on lui faisait des
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