L'Enfant-Roi
un aventurier sans honneur une forteresse d’une immense
importance puisqu’elle couvrait Paris au nord. Dix-neuf ans plus tôt, le Louvre
avait frémi et la panique avait soufflé sur le populaire quand l’Espagnol par
surprise s’en était emparé, et il avait fallu à notre Henri – le plus
grand capitaine de son temps – pas moins de six mois d’efforts épuisants
pour reprendre la ville.
En fait, les Princes agissaient par dépit et envie, étant
jaloux des écus qui, par les « épingles » et les gratifications et
les charges, tombaient comme pluie dans les coffres des maréchaux d’Ancre. Mais
il demeure fort surprenant que Condé ait accepté de réclamer pour eux une
mesure aussi manifestement hostile aux Conchine, alors même que les
Conchine – à la différence de ce qu’ils avaient entrepris à l’encontre de
Bellegarde dans l’affaire du miroir magique – l’avaient toujours
infiniment ménagé.
Si Condé avait eu une parcelle de bon sens, il se serait
ramentu que c’était grâce aux favoris florentins que la reine par deux
fois – à Sainte-Menehould et à Loudun – avait traité avec lui et
l’avait cousu d’or. À défaut de gratitude – sentiment qui lui était aussi
inconnu que la fidélité à son roi – il eût pu montrer quelque
circonspection au moment de s’en prendre à des gens qui étaient redevenus si
puissants sur l’esprit de la reine-mère.
Bien qu’à ce que me dit Monsieur de Villeroy, Louis
conservât au Conseil une face imperscrutable et ne pipât ni mot ni miette, il
n’était pas difficile de conjecturer ce qu’il pensait des négociations de
Loudun, lui qui avait regretté, témoin d’une discussion entre Condé et la reine-mère,
de n’avoir pas eu à son côté une épée « pour la lui passer à travers le
corps ».
Pendant le longuissime séjour de Tours, je me souviens de
réflexions que fit Louis et qui me parurent éclairer son sentiment à ce sujet.
Mais avant de passer plus outre, que je tâche à conforter ma belle lectrice du
souci qu’elle s’est fait avec moi d’avoir vu mon petit roi si triste, si
marmiteux et si mal allant après le partement de Madame. Il allait mieux
à Tours, ayant repris couleurs et appétit, soit que le premier feu du chagrin
se fût épuisé par son excès même, soit qu’il trouvât aussi une diversion à son
deuil par les visites qu’il faisait alors quasi quotidiennement, soit à
Amboise, soit à Plessis-lès-Tours.
Le gouvernement d’Amboise avait été baillé par la reine à
Monsieur de Luynes sur le conseil de Conchine, lequel voyant l’amour que
portait le roi à l’oiseleur, avait pensé se l’attacher par ce don magnifique.
Il fallait deux heures et demie de carrosse pour aller de Tours à Amboise, et
dès que ce jour-là (le cinq avril, pour être plus précis) on parvint au
château, Louis, arrêtant l’équipage, sauta bas avant qu’on ait eu le temps de
déplier le marchepied, et tout courant – ses gentilshommes, dont j’étais,
s’essoufflant à sa suite – il galopa jusqu’en haut du château, ouvrit sans
toquer la porte d’une chambre qu’il connaissait bien, et se jeta d’un élan dans
les bras de Monsieur de Luynes.
Il n’y avait pas la moindre ambiguïté dans ce
transport : les gentilshommes présents l’ont comme moi ressenti. C’était
pure affection, naïve, puérile et qui plus est, bel et bien rendue par celui
qui en était l’objet. Car Luynes, de son côté, aimait fort cet enfant et ce
serait mal le juger de ne voir en lui, comme on l’a fait plus tard, qu’un
ambitieux vulgaire. C’était assurément un bien petit personnage que Monsieur de
Luynes, et que l’Histoire s’étonnera d’avoir vu en si haute place. Car il était
sans courage, sans vue d’avenir, sans autre talent que son habileté d’oiseleur.
Néanmoins, il était charmant.
Bel homme, mais à vrai dire plutôt joli que beau, le parler
suave, les manières polies, sans le moindre orgueil, mais aussi sans la moindre
pointe, s’insinuant mais ne se poussant pas, doué, de reste, d’un naturel
modeste, sensible, serviable et bon, et possédant cette douceur et cette
patience si nécessaires à qui veut dresser des oiseaux ou capter l’affection de
son maître.
Quand Luynes mourut, Louis dit, avec sa sobriété
coutumière : « Je l’ai aimé parce qu’il m’aimait. » Il ne se
trompait pas sur les sentiments de Luynes à son endroit, et on doit l’en
Weitere Kostenlose Bücher