L'Enfant-Roi
œil, il est premier gentilhomme de la Chambre, et c’est aussi le fils de
Monsieur de Souvré.
— C’est justement là, mon Pierre, où le bât blessa le
Conchine. Il fit remarquer qu’il serait fort difficile de se défaire de lui
s’il venait à déplaire à la reine, son père étant chevalier du Saint-Esprit et
maréchal de France [85] .
— C’était bien raisonné.
— On en vint enfin au troisième candidat possible, et
il va vous surprendre.
— Voyons cela, mon ange.
— C’était vous.
— Moi ? m’écriai-je, béant.
— Vous.
— Moi, à qui le roi adresse si rarement la
parole ? Comment Blainville a-t-il pu flairer que Louis me tient en grande
estime et que je suis tout à lui ? Ce limier a un nez infernal ! Et
comment Concini accueillit-il mon nom ?
— Comme celui de Courtenvaux. Si le chevalier de
Siorac, dit-il, vient à déplaire, comment se défaire de lui, alors qu’il est si
protégé par la duchesse de Guise ? Elle nous mettrait tous les Guise à
dos. Toutefois, la Conchine opina qu’on pourrait avoir barre sur vos bonnes
volontés pour la raison que vous êtes très attaché à une princesse palatine,
dont la résidence à Paris n’est que tolérée…
— Jour de Dieu ! m’écriai-je. La gueuse a les
« épingles » ingrates ! M’amie, je vais trembler pour vous.
— Ne tremblez pas, mon Pierre, Sauveterre para le coup.
Le chevalier de Siorac, dit-il, est un homme de cabinet. Il aime les livres et
il apprend les langues. Et bien qu’il soit bon cavalier et excellent à l’épée,
il goûte fort peu la chasse, et moins encore l’oisellerie. Il n’est donc pas de
l’étoffe dont Louis peut faire un favori.
— Y eut-il d’autres candidats ?
— Nenni, vous fûtes le dernier.
— Et que décida la reine ?
— Elle décida de ne rien décider. Cette belle phrase
n’est pas de moi, mon ami, elle est de Bassompierre.
— Et le Conchine ?
— Il ne pressa pas beaucoup la reine. Luynes l’avait
déçu, parce que, lui ayant fait donner Amboise, il s’attendait que Luynes lui
vînt manger dans la main et trahît le roi pour lui. Mais d’un autre côté, il
croit que Luynes n’aura jamais assez de pointe pour s’attaquer à son pouvoir.
Et il se peut aussi qu’il pense à part soi qu’il y a d’autres moyens qu’une
disgrâce publique pour l’intimider.
— Est-ce là le sentiment de Bassompierre, m’amie, ou le
vôtre ?
— C’est le mien.
Madame de Lichtenberg ne se trompait pas et je fus surpris
que n’ayant jamais mis le pied au Louvre, elle eût tant de perspicacité.
Heidelberg est certes moins grande ville que Paris, mais les intrigues de la
Cour palatine n’ont sans doute rien à envier à celles de la Cour de France.
Quelques jours après mon entretien avec elle, je croisai
Luynes à midi dans le grand escalier du Louvre. Le moment, le lieu, étaient
propices. À cette heure, grands ou valets sont occupés, chacun dans sa
chacunière, à se rassasier, et le milieu du grand degré, quand il n’est pas
envahi par la foule, est le meilleur endroit du monde pour échanger des propos
secrets, car on voit de loin les gens monter ou descendre vers soi.
Je m’arrêtai quand Luynes fut à ma hauteur. Depuis notre
retour du voyage de Guyenne, son air sombre m’avait frappé. Et ce jour-là,
tandis qu’il montait vers moi en souriant, je fus surpris de lui trouver le
visage gai et l’air alerte.
— Monsieur, dis-je, j’ai appris hier que vous avez
acheté à Monsieur de Fontenay la capitainerie du Louvre, et je vous en fais
tous mes compliments.
Luynes n’était pas homme à laisser passer des grâces de
cette farine sans y répondre avec une courtoisie des plus suaves et je
l’écoutai avec patience me couvrir à son tour de politesses, auxquelles son
léger accent occitan donnait une rondeur agréable.
— Vous voilà enfin comblé, repris-je pour conclure cet
échange.
— Assurément, dit-il, quoique ce ne soit pas la charge
en elle-même qui me ravit, mais le fait qu’elle me permet d’avoir un
appartement au Louvre. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, le roi m’a
logé juste au-dessus de ses appartements. Tant est que je descends chez lui par
un viret qui n’est emprunté que par moi, et j’ai ainsi l’honneur de le voir
quasiment à toute heure. Mais surtout, dit-il en baissant la voix au niveau
d’un murmure, cela m’épargne de sortir le soir pour gagner mon gîte
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