L'énigme de l'exode

profondément spirituel, et cela s’accentuait lorsqu’on s’enfonçait dans le désert. Peterson l’avait senti dans le soleil ardent, dans la sueur et la douleur du labeur, dans la fraîcheur de l’eau sur sa peau et ses lèvres desséchées. Il l’avait vu dans les lignes voluptueuses des dunes dorées et dans le ciel d’un bleu étincelant. Et il l’avait entendu dans le silence.
    Il s’arrêta, regarda autour de lui pour s’assurer que personne ne le voyait, et descendit dans une petite cavité, dans laquelle ils avaient trouvé l’embouchure du puits, deux jours plus tôt. Lors des deux premières saisons, influencé par l’angoisse de Griffin, il avait décidé de fouiller le cimetière et les constructions anciennes pendant la journée et de ne se consacrer à ses véritables recherches qu’après le départ des ouvriers égyptiens. Mais il avait perdu patience. Peterson était, par nature, un prêcheur de l’Ancien Testament, qui méprisait la mission sociale dont se sentaient investis tant de religieux modernes. Son dieu était un dieu jaloux, un dieu autoritaire et exigeant ; un dieu d’amour et de pardon pour ceux qui se soumettaient pleinement à sa volonté, mais un dieu de colère et de vengeance pour ses ennemis et ceux qui le décevaient.
    Peterson ne voulait surtout pas décevoir son dieu. Il disposait d’une nuit pour accomplir sa mission sacrée. Et il avait bien l’intention de la mettre à profit.

Chapitre 6

    I
    — Votre contribution ? demanda Gaëlle.
    Stafford hésita, mais il était fier de sa théorie et ne résista pas à l’envie de l’impressionner. Il se considérait comme un historien dissident, qui allait remettre en question toutes les idées reçues de ses prédécesseurs.
    — Je ne peux pas tout dévoiler, commença-t-il, mais je peux vous dire ceci : il est vrai que tous les derniers ouvrages sur Akhénaton mentionnent la possibilité que celui-ci ait été atteint d’une maladie. Mais ils le font en marge du texte principal, dans un petit encadré, pour ne pas avoir à revenir sur cette information par la suite. Pourtant, cette maladie pourrait expliquer beaucoup de choses. Réfléchissez : un jeune homme développe brusquement une maladie étrange, défigurante et incurable. Et ce n’est pas n’importe quel jeune homme. Jouissant d’un pouvoir presque illimité, il est considéré comme un dieu vivant par sa cour obséquieuse. Ne voyez-vous pas là l’élément catalyseur de l’émergence de nouvelles idées ? Les prêtres élaborent de nouvelles doctrines présentant les ravages de la maladie comme des bienfaits, et non des handicaps. Les artistes s’efforcent d’élever le défigurement au rang de beauté. Akhénaton promettait régulièrement de ne jamais quitter Amarna, sous prétexte que c’était la demeure spirituelle de son nouveau dieu, Aton. Mais ses serments ressemblent davantage aux boniments d’un jeune homme effrayé, cherchant des excuses pour rester chez lui. Amarna était un sanctuaire, où tout le monde veillait à ce qu’il n’ait pas l’impression d’être un monstre.
    — Peut-être, dit Gaëlle.
    — Il n’y a pas de peut-être. La maladie est la clé de tous les mystères d’Amarna. De plus, tous les enfants d’Akhénaton sont morts jeunes.
    Ils arrivèrent à la hauteur du dernier champ cultivé et passèrent entre deux fines rangées d’arbres qui se dressaient au beau milieu du désert, entre les dunes, et ouvraient la voie vers une chaîne de falaises de grès.
    — Magnifique, murmura Lily.
    — Belle vue, n’est-ce pas ? dit Gaëlle.
    On aurait dit un territoire frontalier. Les grands châteaux d’eau gris, postés environ tous les kilomètres, ressemblaient à des gardes s’efforçant de tenir le désert hostile à distance.
    — Vous voyez ce complexe bordé d’arbres, indiqua Gaëlle en pointant le doigt devant elle. C’est là que nous allons. C’était la centrale électrique de la région, mais elle a été abandonnée et Fatima l’a rachetée. Une nouvelle centrale a été bâtie plus au sud. Nous sommes presque exactement à mi-chemin entre Hermopolis et Touna el-Gabal, c’est-à-dire juste...
    — Je regrette que vous trouviez mes théories aussi ennuyeuses, maugréa Stafford.
    — Mais pas du tout ! se défendit Gaëlle. Vous nous disiez que tous les enfants d’Akhénaton étaient morts jeunes.
    — En effet, fit Stafford, un peu rasséréné. Ses six filles, bien sûr, mais aussi Smenkharê