L'énigme de l'exode

serait-ce que d’envisager que la Bible puisse apporter un éclairage pertinent sur l’histoire de l’Égypte.
    — Qui sont ces experts ? demanda Fatima. Je n’en ai jamais rencontré de tels.
    — Loin de moi l’idée d’affirmer que la Bible repose exclusivement sur des faits, poursuivit Stafford. Mais c’est de loin le meilleur récit des origines du judaïsme. Personne ne met en doute, par exemple, que des esclaves désignés ultérieurement sous le nom de Juifs aient été présents en grand nombre en Égypte, au cours du deuxième millénaire avant Jésus-Christ. Ni qu’ils se soient rebellés contre leurs maîtres égyptiens et enfuis lors d’un exode de masse, organisé par un homme qu’ils ont appelé Moïse. Ni même qu’ils aient attaqué et détruit Jéricho, ainsi que d’autres cités, avant de s’établir dans la région de Jérusalem. C’est le scénario généralement admis. Notre rôle, en tant qu’historiens, consiste à lui donner vie.
    — Notre rôle, vous dites ?
    — Oui, soutint Stafford avec suffisance. En effet. Malheureusement, nous sommes confrontés à un problème de taille : il n’existe aucun récit égyptien de l’Exode. Bien sûr, les Égyptiens n’ont pas accordé autant d’importance à cet épisode que les Juifs. Ils n’y ont sans doute vu que la fuite d’un groupe d’esclaves. Cela dit, nous disposons de certains indices. Par exemple, d’après la Genèse, c’est Joseph qui a conduit les Hébreux en Égypte. Le texte mentionne non pas une, ni deux, mais trois fois l’existence de chars. Or, les Égyptiens n’ont pas construit de chars avant la dix-huitième dynastie. Donc il est impossible que les Juifs soient entrés en Égypte avant le milieu du XVI e siècle avant Jésus-Christ. Par ailleurs, la stèle de Merneptah révèle une victoire des Égyptiens sur la tribu d’Israël en Canaan. L’Exode devait déjà avoir eu lieu à l’époque où a été gravée l’inscription, qui date d’environ 1225 avant Jésus-Christ. Nous nous situons donc entre 1550 et 1225 avant Jésus-Christ. Autrement dit, pendant la dix-huitième dynastie, n’est-ce pas ?
    — Votre raisonnement semble impeccable, dit Fatima.
    — Merci, mais voyons si nous pouvons réduire la fourchette. Les Ptolémées ont commandé une histoire de l’Égypte à un certain Manéthon, dont la liste des rois demeure notre principale référence concernant la structure dynastique de l’Égypte ancienne.
    — Intéressant...
    — Grand prêtre, Manéthon avait accès aux archives du temple d’Amon d’Héliopolis. D’après ses recherches, le Moïse de la Bible était un certain Osarseph. Cet Osarseph était le grand prêtre du pharaon Amenhotep. Apparemment, il a rassemblé autour de lui des exclus et des lépreux. Et il a fini par devenir si puissant que les dieux sont apparus à Amenhotep en songe pour lui ordonner de le chasser. Mais ce fut finalement Osarseph qui chassa Amenhotep. Il régna pendant treize ans, avant d’être banni à son tour. Donc, non seulement nous avons une confirmation de l’Exode par une source indépendante, mais nous disposons d’un indice crucial dans notre recherche de l’identité de Moïse : Osarseph et Amenhotep.
    — Il y a eu quatre Amenhotep parmi les pharaons de la dix-huitième dynastie. Auquel d’entre eux Manéthon faisait-il référence, à votre avis ?
    — Il a écrit que le pharaon avait un fils nommé Ramsès. Ramsès étant un nom de la dix-neuvième dynastie, il est clair qu’il faisait référence à un des derniers.
    — Je vois...
    — Le règne d’Osarseph pendant treize ans pourrait poser problème, car ce pharaon n’est mentionné nulle part ailleurs et aucun pharaon de la dix-huitième dynastie n’a régné pendant treize ans. Mais observons de plus près nos candidats potentiels : Ay ou Horemheb, par exemple. Aucun d’eux n’était d’ascendance royale. Le premier était vizir avant d’accéder au trône et l’autre, général. Mais le règne d’Ay n’a duré que quatre ans et celui d’Horemeb, long de dix-neuf ans, a été à la fois conformiste et prospère. Smenkharê n’a régné que quelques mois et Toutankhamon est mort très jeune. Bref, aucun de ceux-là n’a le profil. Mais il en reste un : Akhénaton, qui a succédé à son père, Amenhotep III. S’il a été pharaon pendant dix-sept ans, il a incontestablement vécu quelque chose d’extraordinaire au cours de la cinquième année de son règne : non