L'énigme des vampires
conte, spirituellement si l’on se place à un autre niveau de
lecture.
Le jeune homme suit à la lettre les recommandations de la
grande bête et tout se réalise comme il était prévu. Mais à bien comprendre le
symbole, le jeune homme, son épouse et leurs sept enfants forment une belle
famille de vampires. Et il n’est pas exclu que cette famille ait des
descendants disséminés partout dans le monde. N’oublions pas que, selon les
croyances roumaines, un vampire qui s’établit dans un autre pays, peut, au bout
d’un certain temps, fonder une famille et répandre ses enfants sur la terre. N’était-ce
pas le but de Dracula en venant s’établir près de Londres ? Lui aussi
était revêtu d’une certaine immortalité, ou plutôt de longévité, parce qu’il
avait bu le Sang du Dragon dont il portait le nom.
Grâce à toutes ces histoires de dragons, médiateurs entre le
Ciel et la Terre, anges aux ailes blanches ou noires, donc fortement ambigus, on
comprend le comportement historique d’un Vlad Tepes faisant empaler ses
victimes et prenant des forces en les regardant saigner, et aussi le tragique
rituel de la comtesse Bathory éclaboussée du sang des jeunes vierges qu’elle
sacrifiait.
Il s’agit d’un rite de régénération. Ce n’est pas sans
évoquer le baptême par le sang des sectateurs de Mithra, rite bâti sur le mythe
du héros solaire qui poursuit le Taureau cosmique, incarnation de l’énergie
divine, et qui le tue, faisant rejaillir son sang sur lui et sur ses
descendants. Le Taureau de Mithra, animal nécessairement monstrueux et étrange,
s’identifie aisément avec le Dragon ailé, vestige du Paradis terrestre échoué
dans une des sombres cavernes de la Terre. Et lorsque le prêtre du culte
mithriaque égorgeait le taureau et répandait son sang sur les nouveaux élus
rassemblés dans une fosse, au-dessous, il ne faisait que refaire le geste de
Sigurd : il donnait aux nouveaux baptisés la Vie.
Tout cela demeure dans la structure mentale des humains. Il
est étonnant de constater que même à notre époque, ces vieux concepts
réapparaissent de temps à autre, y compris sous les formes les plus aberrantes.
On dit, mais on se garde bien d’apporter des preuves, qu’il existe des sectes
vampiriques qui pratiquent des rituels sanglants. Ce n’est pas impossible :
il se passe parfois d’étranges cérémonies dans les cimetières, la nuit, quand
dorment les honnêtes gens, ou supposés tels. Même si la part du fantasme dans
ces histoires chuchotées est incontestable, il doit bien y avoir une certaine
réalité, puisqu’il n’y a jamais de fumée sans feu et que tout effet a
obligatoirement une cause. Qui refuserait de boire le Sang du Dragon pour
acquérir l’immortalité ?
Un témoignage surprenant nous est apporté par le spécialiste
des traditions occitanes Pierre Bec, universitaire chevronné et peu suspect d’affabulations.
Dans un article publié dans la grave Revue de
Linguistique romane (1959, pp. 296-351), parmi de multiples
observations, il signale avoir vu de ses propres yeux, quelques années
auparavant, en Dordogne, un jeune garçon couper la queue d’une couleuvre et
sucer le sang de l’animal. Interrogé sur le sens de son acte, le garçon avait
répondu que c’était une excellente méthode pour prolonger la vie. Cela se passe
de commentaires.
V - LE VOL DE LILITH
Boire le Sang du Dragon, et, dans le cadre de la liturgie
chrétienne, boire le Sang du Christ, est un acte régénérateur par lequel un
être humain franchit une étape importante de sa destinée, puisque, ce faisant, il
établit un lien entre sa vie mortelle et une autre vie dans un Autre Monde, quel
que soit le nom dont on puisse revêtir celui-ci. À la limite, on pourrait dire
qu’il s’agit d’un acte d’humilité, l’être humain reconnaissant sa faiblesse
naturelle et demandant à la divinité (quelle qu’elle soit) de lui procurer l’énergie
qui lui manque et qui est symbolisée ou concentrée dans le Sang. Mais, par ce
rituel, l’être humain accède lui-même à un plan supérieur et se hausse, en
quelque sorte, « à la droite de Dieu », pour reprendre une
terminologie bien connue. Partager le Sang du Christ, ce « Précieux Sang »,
c’est devenir, tous ensemble, des Christ, par un processus d’identification que
les Évangiles suggèrent bien souvent. Cet acte de régénération est donc de
polarité positive et résulte d’un grand élan d’amour
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