L'énigme des vampires
réalisation de l’humain.
C’est pourquoi, ayant franchi lui-même les étapes difficiles d’une initiation
dont on ne sait pratiquement rien, il indique le
chemin et la vie , ou encore, selon certains exégètes, le chemin de la vie , ce qui est certainement
beaucoup plus important. Il y a en effet un problème essentiel à résoudre pour
l’humanité : en dépit de son intelligence, en dépit de ses espoirs, en
dépit des visions qu’il peut avoir d’un univers lointain et présent à la fois, l’être
humain ne sait pas où se trouve son âme , et s’il
le sait, parfois, il lui est impossible de l’intégrer. Là encore, le symbole du Corps sans Âme est le plus apte à traduire ce
problème. Et la conséquence à tirer de cette constatation est la suivante, tout
au moins dans le cadre d’une civilisation marquée par le Christianisme : nous
sommes tous des vampires qui attendons de Dieu le sang qui nous manque pour
réaliser pleinement notre humanité.
Ainsi s’explique la délicate opération alchimique qu’entreprend
Jésus lors de la Cène. On peut prendre cette opération à la lettre ou n’y voir
qu’un simple message. Peu importe. En tant que vampire, l’être humain n’aspire
qu’à être nourri et irrigué par le Sang de la divinité quelle qu’elle soit. Le
vampire ne peut prolonger son existence s’il n’a pas de contact direct avec l’énergie
vitale. Mais la différence entre un vampire du type Dracula, qui prend tout et
ne donne rien, et le Christ, qui donne tout et ne prend rien, cette différence
est totale. Elle est du même ordre que la différence qui sépare la haine de l’amour :
c’est la même réalité, mais de polarité opposée. Ce n’est même plus affaire de
croyance ou de non-croyance, c’est un fait métaphysique. Ceux qui ont élaboré
la subtile histoire d’un Graal chrétien contenant le sang de Jésus à partir d’éléments
hérités des plus lointains paganismes le savaient fort bien, et c’est ce
message qu’ils ont lancé à travers l’énigmatique figure du Roi Pêcheur, gouvernant,
sans régner, un royaume en pleine décomposition.
Car le Roi Pêcheur blessé, privé de sa virilité, confiné
dans un état qui est celui de la non-mort, ne peut espérer survivre et guérir
que par l’apparition d’un être nouveau, riche de sang et d’énergie vitale. Comme
le roi et son royaume ne font qu’un, ses sujets languissent dans les mêmes
terreurs que lui, et guettent désespérément l’arrivée de celui qui posera la
question.
Les versions les plus chrétiennes de la Quête du Saint-Graal insistent sur l’existence d’une
lignée qui trouve évidemment son origine dans le personnage de Joseph d’Arimathie,
et dont le Roi Pêcheur, Pellès dans certains textes, Mordrain dans d’autres, ou
encore Anfortas dans la version allemande, est le représentant légitime. Mais
on oublie trop que Perceval est du même sang que le Roi Pêcheur et que Lancelot
du Lac et son fils Galaad font partie de cette cohorte sacrée dont l’ancêtre
est, au bout du compte, le roi David. Cela rappelle quelque chose, bien entendu,
et ce n’est pas par hasard si les textes évangéliques rattachent Jésus le
Nazaréen à la lignée davidique, même au prix de subterfuges, en particulier à
propos d’une généalogie qui passe par Joseph, mettant ainsi les textes sacrés
en contradiction avec eux-mêmes. Mais là n’est pas la question. Ce qu’on doit
retenir, c’est l’héritage davidique dans la famille gardienne du Graal. À
travers de multiples métamorphoses, le Roi Pêcheur est une sorte de doublet du
roi David, le monarque sacré, et la légitimité du Roi Pêcheur ne peut se
discuter si l’on se réfère à cette lignée, en vérité plus initiatique que
biologique.
Le Roi Pêcheur est en effet en état de « somnolence »
dans son château ou sur l’étang où il pêche. Ses fonctions sont amoindries. Suivant
certaines versions, il ne survit que par la contemplation du « saint »
Graal. Mais si l’on se réfère au modèle biblique, on comprend mieux ce qui se
passe. Certes, le roi David n’est pas un petit saint. C’est un guerrier
impitoyable, un autocrate qui réussit à dominer l’ensemble des tribus hébraïques.
Et, malgré la légende qui s’empare de lui, ce n’est qu’un dictateur assoiffé de
pouvoir et de grandeur, un mégalomane, pour ne pas dire un paranoïaque. Il a
une multitude d’épouses, et encore plus de
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