L'énigme des vampires
les
vampires et les sorcières. Harker devrait savoir à quoi s’en tenir.
Mais Dracula tient à préciser que tout cela n’est que racontars :
« Les imbéciles ! Quelle sorcière, quel démon fut jamais aussi
puissant qu’Attila dont le sang coule dans nos veines ! » Le vampire
rejette donc toute origine surnaturelle à sa lignée : avoir Attila parmi
ses ancêtres constitue la preuve à la fois de sa noblesse et de sa volonté de
conquête. Il est vrai que l’Attila légendaire passe pour être un monstre
assoiffé de sang. Et comme si cette caution n’était pas suffisante, le comte en
mentionne une autre : « N’est-ce pas un des miens qui traversa le
Danube pour aller battre le Turc sur son propre sol ? Oui, c’est un Dracula !…
N’est-ce pas ce même Dracula qui légua son ardeur patriotique à l’un de ses
descendants qui, bien plus tard, traversa de nouveau le fleuve avec ses troupes
pour envahir la Turquie ! Et qui, ayant battu en retraite, revint
plusieurs fois à la charge, seul, et laissant derrière lui le champ de bataille
où gisaient ses soldats, parce qu’il savait que, finalement, à lui seul, il
triompherait ! On prétend qu’en agissant ainsi, il ne pensait qu’à lui !
Mais à quoi serviraient des troupes si elles n’avaient un chef ? Où
aboutirait la guerre s’il n’y avait, pour la conduire, un cerveau et un cœur ?…
Les Szeklers peuvent se vanter d’avoir accompli ce que ces parvenus, les
Habsbourg et les Romanov, ont été incapables de réaliser… Mais le temps des
guerres est passé. Le sang est considéré comme chose trop précieuse, en notre
époque de paix déshonorante… »
On peut dire que le comte Dracula annonce clairement les
couleurs. Sa volonté est de conquérir le monde, à lui
seul , en digne héritier des Bersekr germaniques et des Huns. On serait tenté de voir dans ce discours une
prémonition géniale d’Hitler et du nazisme. Et, fait important, le comte fait
allusion aux deux Dracula historiques, en particulier à Vlad Tepes Drakula, grand
seigneur du XV e siècle, dont la férocité
sanguinaire a conduit la postérité à lui donner le surnom de Vlad l’Empaleur, héros
d’une tradition devenue légendaire et qui paraît bien, en définitive, être le
modèle principal du personnage de Bram Stoker.
Après ce discours empreint de mégalomanie galopante, Dracula
quitte Jonathan Harker, mais avant de disparaître, il lance encore ces paroles :
« S’il vous arrivait jamais de quitter ces appartements, nulle part
ailleurs dans le château vous ne trouveriez le sommeil. Car ce manoir est vieux,
il est peuplé de souvenirs anciens, et les cauchemars attendent ceux qui
dorment là où cela ne leur est pas permis. Soyez donc averti. Si, à n’importe
quel moment, vous avez sommeil, si vous sentez que vous allez vous endormir, alors
regagnez votre chambre au plus vite, ou l’une ou l’autre de ces pièces-ci… »
Bien entendu, Harker n’a de cesse d’explorer les parties interdites du château.
C’est ainsi que, se penchant sur le rebord d’une fenêtre pour examiner l’extérieur,
il voit « le comte sortir lentement par une fenêtre et se mettre à ramper,
la tête la première, contre le mur du château. Il s’accrochait ainsi au-dessus
de cet abîme vertigineux, et son manteau s’étalait de part et d’autre de son
corps comme deux grandes ailes… Il descendit rapidement, exactement comme un
lézard se déplace le long d’un mur ». Alors, serait-ce une chauve-souris, telle
qu’elle est suggérée par l’image du manteau déployé comme deux grandes ailes, ou
un lézard, aspect miniaturisé du dragon des légendes anciennes, ce qui nous renvoie
évidemment au nom même de Dracula, puisque ce nom est en réalité un grade d’un
ordre secret, l’Ordre du Dragon inversé ?
Et comme la curiosité de Jonathan Harker est plus forte que
sa crainte, il s’aventure dans une pièce interdite. Il s’assoit dans un
fauteuil et le sommeil le prend. Rêve-t-il ? On ne le sait pas. Toujours
est-il qu’une bizarre sensation s’empare de lui. Il ouvre discrètement les yeux
et aperçoit en face de lui « trois jeunes femmes – des dames de qualité à
en juger par leurs toilettes et leurs manières. À l’instant où je les aperçus, je
crus que je rêvais car, bien que le clair de lune entrât par une fenêtre placée
derrière elles, elles ne projetaient aucune ombre sur le plancher. Elles
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