L'énigme des vampires
le sac. Je crus entendre
un faible gémissement, comme celui d’un enfant à demi étouffé. Les femmes
entourèrent le sac tandis que je demeurais pétrifié d’horreur. Mais alors que
je tenais encore mes regards fixés sur le plancher, elles disparurent, et le
sac avec elles. » Et Jonathan Harker se réveille dans son lit, dans l’environnement
devenu familier de sa chambre. « En regardant autour de moi, dans cette
chambre où pourtant j’avais connu tant d’angoisses, tant de frayeurs, il me
semblait que j’y étais maintenant à l’abri, car rien ne pouvait être plus
épouvantable que ces femmes horribles qui attendaient – qui attendent – de sucer
mon sang. »
Dans les jours et les nuits qui suivent, Jonathan Harker se
sent de plus en plus prisonnier, d’autant plus que le comte trouve toujours de
bons prétextes pour lui refuser de partir. Il est témoin d’incidents étranges :
une femme éplorée vient, dans la cour du château, réclamer son enfant au comte
Dracula, et, chose inexplicable, cinquante caisses sont remplies de terre et
emmenées par des Tsiganes. Enfin, au cours d’une de ses explorations à travers
le château, Jonathan Harker aboutit à la chapelle, en ruine, où l’on voit que
la terre a été retournée depuis peu. Là se trouvent des débris de cercueils et
une grande caisse dont Harker soulève le couvercle. À sa grande stupéfaction, il
aperçoit le comte, étendu sur de la terre : « Était-il mort ou bien
dormait-il, je n’aurais pu le dire, car ses yeux étaient ouverts, on aurait dit
pétrifiés ; mais non vitreux comme dans la mort, et les joues, malgré leur
pâleur, gardaient la chaleur de la vie ; quant aux lèvres, elles étaient
aussi rouges que d’habitude. Mais le corps restait sans mouvement, sans aucun
signe de respiration, et le cœur semblait avoir cessé de battre. » Après
avoir cherché en vain les clefs du château qu’il supposait être dans les poches
du comte, Harker s’enfuit dans sa chambre. Pourtant, le soir, Dracula vient le
trouver et lui déclare qu’ils ne se reverront plus. La scène est également
hallucinante, sonorisée par le hurlement des loups. Ces loups semblent vouloir
envahir la demeure. Alors Dracula ouvre la porte, et par sa seule présence, il
met les loups en fuite. Ensuite, il raccompagne Harker dans sa chambre. « Pour
la dernière fois, je vis le comte Dracula m’envoyant un baiser de sa main ;
ses yeux brillaient de triomphe et ses traits rayonnaient d’un sourire dont
Judas aurait pu être fier. »
Le jour suivant, Jonathan Harker retourne à la chapelle et
ouvre une seconde fois la caisse : « Oui, le comte gisait là, mais il
paraissait à moitié rajeuni, car ses cheveux blancs, sa moustache blanche
étaient maintenant d’un gris de fer ; les joues étaient plus pleines et
une certaine rougeur apparaissait sous la pâleur de la peau. Quant aux lèvres, elles
étaient plus vermeilles que jamais, car des gouttes de sang frais sortaient des
coins de sa bouche, coulaient sur le menton et sur le cou. Les yeux enfoncés et
brillants disparaissaient dans le visage boursouflé. On eût dit que cette
horrible créature était tout simplement gorgée de sang… Je regardai le comte
encore plus attentivement. Sur ses traits gonflés errait comme un sourire
moqueur qui me rendait fou. Et c’était cet être-là que j’avais aidé à s’installer
près de Londres, où, peut-être dorénavant, pendant des siècles, il allait
satisfaire sa soif de sang, et créer un cercle nouveau, un cercle de plus en
plus élargi de créatures à demi démoniaques qui se gorgeraient du sang des
faibles. »
Cette fois, le clerc de notaire d’Exeter a compris. Mais il
ne connaît pas l’exorcisme nécessaire pour lutter contre cette diablerie , il ne peut rien faire. Le sourire cruel
et ironique du comte Dracula en dit assez long là-dessus. De plus, des bruits
de serrures font fuir Harker vers sa chambre. Il constate que des Tsiganes – toujours
eux ! – viennent clouer le couvercle de la caisse où se trouve le comte et
qu’ils l’emportent à bord d’un de leurs chars. Jonathan Harker se retrouve seul
– et prisonnier – dans l’infernal château de Dracula. Seul ? C’est vite
dit : « Je suis seul dans le château, seul avec ces trois femmes !
Des femmes ! Mina est une femme et, entre Mina et elles, il n’y a rien de
commun. Elles, ce sont des démons. Mais je ne resterai pas seul avec elles.
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