L'énigme des vampires
dépit des fausses indications qu’il fait transmettre par Mina en
état d’hypnose, ils parviennent à proximité du château du vampire au moment où
celui-ci, dans la dernière caisse qui lui reste, est convoyé par des Tsiganes. Une
lutte sans merci s’engage entre les Tsiganes et les amis de van Helsing, alors
que Mina se trouve en sûreté dans un cercle magique de protection, non loin de
là. Au cours de la bataille, Quincey Morris est grièvement blessé, mais ses
compagnons réussissent à s’emparer de la caisse : « Le couvercle céda
peu à peu ; les clous s’arrachèrent avec un brusque gémissement, et ce qui
fermait le coffre fut laissé à terre. »
Il n’est que temps, car le soleil va bientôt disparaître à l’horizon.
« Le soleil était très bas et les ombres sur la neige étaient très longues.
Je vis le comte étendu dans le coffre, sur le sol… Le comte était mortellement
pâle, semblable à une image de cire. Ses yeux rouges avaient l’affreux regard
vindicatif que je ne connaissais que trop bien. Comme je le regardais, ses yeux
aperçurent le soleil déclinant et son regard haineux eut une lueur de triomphe.
Mais, à la seconde même, surgit l’éclat du grand couteau de Jonathan. Je jetai
un cri en le voyant trancher la gorge. Et au même moment, le coutelas de Mr. Morris
pénétra en plein cœur. Ce fut comme un miracle : oui, devant nos yeux, et
dans le temps d’un soupir, le corps tout entier se réduisit en poussière et
disparut. »
Ainsi disparaît le comte Dracula, et avec lui tous les
sortilèges dont il était le dispensateur. Mais si tout se termine bien pour
Mina et Jonathan Harker, malgré la mort de Quincey Morris, victime expiatoire
de cet exorcisme, le professeur Abraham van Helsing ne prend pas du tout l’allure
d’un triomphateur. Car si le comte Dracula est éliminé de la surface de la
terre, il est possible qu’il y ait d’autres vampires dissimulés au milieu de
nous. Et surtout, comme l’écrit, en guise de conclusion de son journal, Jonathan
Harker, après un dernier voyage en Transylvanie, le château du comte Dracula « était
toujours debout, dominant une étendue de désolation ».
Et chacun sait que les vieux châteaux en ruines sont
toujours remplis de fantômes qui n’en finissent pas de s’évaporer dans les
grands vents de l’hiver…
II - AU CHÂTEAU DES CARPATES
Bram Stoker n’est pas le premier écrivain à s’être emparé du
thème du vampire pour élaborer un ouvrage de fiction romanesque. Son
prédécesseur immédiat a été un autre Irlandais, Sheridan Le Fanu, dont la
nouvelle Carmilla fut publiée en 1872 à
Londres. Il n’est pas question, dans ce récit, du sinistre comte Dracula, et le
contexte terrifiant n’apparaît qu’au second degré dans des évocations brumeuses
qui sont surtout une exploitation habile des fantasmes masculins concernant l’homosexualité
féminine. Et l’atmosphère générale, trouble et ambiguë, relève plus du domaine
de l’érotisme que du fantastique proprement dit. L’héroïne est en effet une « pure
et innocente » jeune fille, Laura, qui reçoit les visites nocturnes de la
belle Carmilla. Celle-ci manifeste incontestablement son attirance envers Laura,
du moins s’il faut en croire le récit que fait Laura elle-même de ses nuits « blanches » :
« Il arrivait parfois qu’après une heure d’apathie, mon
étrange et belle compagne prît ma main et la retînt avec une douce pression
maintes fois renouvelée ; rougissant doucement, me contemplant avec des
yeux languissants et brûlants, et respirant si fort que sa robe se soulevait et
retombait. C’était comme l’ardeur d’un amant ; cela me gênait ; c’était
détestable et cependant irréversible ; et, me dévorant des yeux, elle m’attirait
à elle, et ses lèvres brûlantes semaient leurs baisers au long de mes joues ;
alors, elle murmurait, presque en sanglots : « Tu es à moi, tu seras
mienne… Toi et moi, nous ne formerons qu’un tout et pour toujours… »
Bien sûr, cette Carmilla n’est autre qu’une morte, la dernière
descendante de la famille maudite des Karnstein. Ce n’est pas par hasard que
Sheridan Le Fanu a choisi ce nom allemand de Karnstein, stein signifiant « pierre », et karn étant la transcription exacte du gaélique carn , qui veut dire « tertre », mot passé
ensuite en anglais et adopté universellement pour désigner un monument
mégalithique. Or, on
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