L'énigme des vampires
premier moment d’émerveillement
passé, ce qui frappe, c’est la modestie du castel… Il est vrai que ses dimensions
se trouvaient limitées par l’exiguïté du plateau formant le sommet du piton sur
lequel il était bâti [34] ». En 1913, un tremblement
de terre ébranla le donjon. En 1940, un autre séisme contribua à sa destruction
presque complète, et c’est depuis qu’on en a entrepris une restauration quelque
peu voyante, mais qui produit un certain effet sur les imaginations.
Car, si l’authenticité est discutable, l’atmosphère est là, qui
parle, ne serait-ce que par le biais des croyances populaires : « Ils
ne cessent de rôder, les esprits malins, pour la bonne raison que, pour ces
gens simples, ils s’incarnent dans de nombreux animaux qui ont fait du piton
leur territoire de chasse. Il y a d’abord l’aigle de Valachie à l’envergure
impressionnante qui, de tous temps, a figuré dans les armes de la principauté. Les
rongeurs et les serpents qui pullulent dans les ruines l’attirent. Hôte également de ces vieilles pierres, la chauve-souris .
Celle de Roumanie, sans être aussi grande que le vampire d’Amérique du Sud, est
de taille respectable. La tradition roumaine accuse cet inoffensif chiroptère d’annoncer
le malheur. Ici, c’est pire encore, car les paysans l’estiment dangereux. Ils
racontent d’étranges histoires de personnes blessées par l’un d’eux et qui, devenues
folles, se jettent sur tous ceux qui les entourent pour les mordre, puis
meurent en général dans la semaine qui suit. Cela ressemble beaucoup aux
symptômes de la rage. Si l’esprit de Vlad Dracula va se loger dans le corps d’une
chauve-souris susceptible d’inoculer à un humain le virus rabique, on comprend
mieux comment a pu naître le mythe du vampire Dracula et on trouve une
explication rationnelle aux histoires d’horreur de Bram Stoker [35] . »
Et surtout, « on comprend que passer une nuit au château de Dracula soit
considéré comme un défi à la mort que les plus téméraires osent rarement relever [36] ».
Mais quel est donc le personnage, parfaitement historique, qui,
sous les noms de Vlad Tepes ou de Vlad Dracula, a laissé un souvenir aussi
terrifiant – et aussi énigmatique – dans la mémoire populaire, avant d’être
récupéré, comme on l’a vu, dans la littérature de fiction et tous ses dérivés ?
Ce n’était pas un comte, comme le héros de Bram Stoker, mais
un authentique prince, un voevod , pour
reprendre le terme spécifique du pays. C’était donc le prince Vlad IV de
Valachie, qui vécut de 1430 à 1477, et qui s’illustra particulièrement dans la
lutte acharnée que la Transylvanie mena, en ces époques troublées, contre les
Turcs qui venaient de s’emparer de Constantinople, mettant ainsi fin à ce qui
restait de l’Empire romain d’Orient. Et de nombreux documents historiques
contemporains font tous apparaître que ce personnage était surtout connu sous
le nom de Vlad Dracula (ou Drakula), surnom qui doit obligatoirement prêter à
certains commentaires.
En fait, il ne s’agit pas d’un nom, ni même d’un surnom, mais
d’un titre . Ce titre, Vlad IV l’avait
hérité de son père, Vlad III, auquel il avait été décerné par l’empereur
romain germanique Sigismond lors de son intronisation au sein d’un ordre chevaleresque
– et initiatique –, l’Ordre du Dragon. Car le mot Dracula provient de la même racine indo-européenne qui a donné le grec drakôn , et que l’on retrouve sous une forme très
voisine dans toutes les langues européennes, avec d’ailleurs des glissements de
sens significatifs. Ainsi, en Occitanie, dans de nombreux contes de la
tradition populaire est-il question d’un mystérieux « Drac » qui est
soit un géant, soit un ogre, soit un sorcier, soit le Diable lui-même, revêtu d’aspects
titanesques et terrifiants et contre lequel il n’est pas toujours facile de
lutter si l’on n’a pas le cœur pur, ou une certaine naïveté du genre de celle
qui caractérise le Perceval de la légende du Graal.
Il y aura beaucoup d’autres choses à dire sur le Dragon à travers
toutes ses significations symboliques et ésotériques, ainsi que sur certains « ordres »
qui se réfèrent ouvertement à cette image ambivalente, à la fois divine et
satanique. Pour l’instant, il suffit de s’en tenir au titre. Être admis dans l’Ordre
du Dragon, créé en 1418 par l’empereur Sigismond,
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