L'énigme des vampires
cérémonies
étranges, des purifications rituelles compliquées et des interdits parfois très
rigoureux. Mais il ne faut pas s’y tromper : cette même croyance, sous des
formes atténuées, existe toujours chez les peuples dits civilisés. Cette
terreur du sang menstruel n’est pas seulement un dégoût physique qui peut se
comprendre : cela va au-delà dans les domaines les plus obscurs de l’inconscient,
aussi bien celui des femmes que celui des hommes. Et l’on sait que l’inconscient
véhicule d’antiques notions oubliées. « Dans l’horreur masculine pour ce
sang tabou, nous pouvons bien voir le refus inconscient de la différence
sexuelle, c’est-à-dire la très grande peur des mâles pour la « vagine »
qui, au niveau inconscient, a la valeur d’une bouche, bouche qui est lumière
puisqu’elle met au jour la tête des enfants, mais est aussi obscurité qui
engloutit le pénis de l’homme dans un sang où se mêlent la vie et la mort ;
bouche redoublée qui, pareille à Circé, dévore les hommes, leurs produits, contamine
et profane leur société. Une ignorance bien archaïque des phénomènes complexes
de la maternité se mêle aux sentiments inconscients et primordiaux – qui
résistent, malgré la civilisation, et sont perpétués par les mythes archaïques
régressifs de la tradition – pour la « vagine-mère » bonne et la « vagine-femme »
mauvaise et ennemie, pour un sang féminin qui fait pousser la vie et répand la
mort [97] . »
Si, d’une façon habituelle, le sang est l’être en ses forces
vitales, il est plus qu’évident que le sang menstruel pose les mêmes problèmes
et les accentue. Il est en effet doublement la
vie : une femme, avant l’apparition de ses règles, ne peut encore donner
la vie. Mais, après la ménopause, quand les règles disparaissent, la femme ne
peut plus donner la vie. Raison de plus pour se méfier de son pouvoir qui, s’il
est sacré, est ambigu, donc peut-être dissolvant, corrosif, mortel. Et l’on
sait d’ailleurs que le sang menstruel entre dans de nombreux « brouets »
de sorcières, lesquelles reconnaissent par-là qu’il possède une efficacité plus
grande que le sang « normal ». Il s’agit bien de vie et de mort. Et
cette bouche sanglante que constitue la vulve, au moment des règles, évoque, à
n’en pas douter, la bouche du vampire qui vient de s’abreuver aux veines du cou
de sa victime. Après tout, le saignement de la matrice et le saignement de la
veine sont deux équivalents symboliques. Et qu’on le veuille ou non, le flux
menstruel est lié à la fécondité de la femme, donc à la sexualité, et
naturellement à l’amour.
Tout au moins au comportement amoureux. S’il est vrai qu’un
vampire réel ne peut être amoureux, puisqu’il ne désire pas autre chose que de
survivre dans sa non-mort, pourquoi ne prend-il jamais en compte le sang des
règles ? Il est vrai que les auteurs de romans sur le vampirisme, même s’ils
tombent dans l’érotisme le plus bas, n’osent jamais franchir certaines limites,
notamment celles que constitue le tabou sur le flux menstruel. Tout le monde ne
peut pas écrire ce simple texte, pourtant si pudique : « Quand nous
nous sommes rencontrées, nous nous sommes désirées immédiatement. Mais surtout,
nous nous sommes senties proches, si proches, tellement de la même race, qu’il
n’est venu à l’esprit ni de l’une, ni de l’autre, de recourir à quelque
prétexte – nous avions l’une et l’autre nos règles – pour ne pas faire l’amour
sur-le-champ. À la découverte de nos peaux, de nos corps, de nos sexes, nous
avons ajouté celle de nos sangs [98] . » Il s’agit ici d’amours
saphiques, ce qui ne change absolument rien à la constatation qui s’impose :
le sang, c’est la vie ; alors, pourquoi le cacher ?
À la découverte de nos peaux, de
nos corps, de nos sexes, nous avons ajouté celle de nos sangs . C’est une
belle histoire d’amour, et même d’amour total, absolu, puisque, lorsqu’on aime,
il n’y a rien, dans l’autre, qui puisse constituer une répulsion. L’autre, c’est
moi. Et moi, c’est mon sang. Prendre le sang de l’autre et lui donner mon sang,
c’est l’échange intégral des vies. Je prends ta vie, mais je te donne ma vie. Écoutons
Rudolf Steiner : « Lorsqu’un sang se mêle à un autre et que les deux
éléments de ce mélange ne sont pas à des degrés tellement différents
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