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L'énigme des vampires

L'énigme des vampires

Titel: L'énigme des vampires Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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Dracula
donne à boire de son propre sang aux victimes qu’il veut définitivement
subjuguer. Et le vampire, comme le sorcier, sait très bien quoi faire du sang, ce
qu’ignorent peut-être les autres mortels. Mais, de toute façon, il est très
dangereux de laisser perdre du sang qui coule. On en vient facilement à la
doctrine chrétienne du Précieux Sang.
    On connaît les innombrables délices – et délires – de certains
mystiques, surtout des femmes, à propos du sang du Crucifié. La vision du cœur
saignant de Jésus déclenche chez Marguerite Alacoque, à Paray-le-Monial, au
XVII e  siècle, des extases qui, pour être
spirituelles, n’en sont pas moins d’ordre névrotique. Il s’ensuivra de ces
visions un étrange culte du Sacré-Cœur d’ailleurs très caractéristique d’une
France royaliste et réactionnaire. Mais c’est surtout sainte Thérèse de Lisieux,
à la fin du siècle dernier, qui témoigne le mieux de ce pouvoir sacré du sang. Thérèse
Martin, en s’engloutissant dans son couvent, ne cherchait qu’à rejoindre son « époux
bien-aimé », Jésus-Christ, et elle désirait avec une extrême violence
subir les pires supplices pour être digne de lui. Ses propres paroles sont significatives :
« Le martyre ! voilà le rêve de ma jeunesse, car je ne désire pas un
seul genre de supplice ; pour me satisfaire, il me les faudrait tous. Comme
toi, mon Époux Adoré, je voudrais être flagellée et mourir dépouillée, je voudrais
être plongée dans l’huile bouillante, je désire être broyée par la dent des
bêtes afin de devenir un pain digne de Dieu. » On croirait entendre une
victime d’un vampire, tendant malgré tout – même symboliquement – le cou pour « mourir
de plaisir » de se sentir vider de son sang par l’être aimé, ou simplement
désiré. D’ailleurs, Thérèse ajoute : « Je veux souffrir par amour et
même jouir par amour. » Elle a dit le mot, même si dans son esprit il
concernait une tout autre dimension que celle de l’amour physique. Mais, un
jour, Thérèse aura une vision : Jésus saigne du haut de sa croix et personne n’est là pour recueillir son Précieux Sang.
    Certes, dans la légende du Graal, Joseph d’Arimathie avait
déjà recueilli ce sang divin. Mais Thérèse de Lisieux, dont la culture était
peu étendue, ne connaissait rien de cette tradition. Par contre, elle prend
bien conscience de ce caractère sacré attaché au sang : « J’éprouvais
alors un sentiment nouveau, ineffable, à la vue de ce sang précieux qui tombait à terre sans que personne s’empressât de
le recueillir… C’est devant les plaies de Jésus, en voyant couler son sang
divin, que la soif des âmes avait pénétré mon cœur… Aux âmes, j’offrais le sang
de Jésus, à Jésus, j’offrais ces mêmes âmes rafraîchies par la rosée du calvaire. »
Ces paroles sont redoutables quand on y pense, car on devrait en déduire que
les hommes, du moins les Chrétiens, sont des vampires qui, pour survivre, ont
besoin du sang de Dieu, leur victime… Il s’ensuit une étrange théologie qui a
pourtant le mérite de plonger dans la tradition universelle aussi bien que dans
la nature humaine proprement dite.
    Sans aller aussi loin, on ne peut que constater que le sang
est lié à la vie, à l’être, et le témoignage de Thérèse de Lisieux le prouve, à
l’amour. Ce pouvoir sacré et créateur du sang nécessite qu’on en prenne le plus
grand soin. C’est en vertu de cette constante inquiétude qu’ont été édictés les
nombreux tabous et interdits par le sang, interdits généralement liés à la
sexualité. Dans le Lévitique , les interdits
sur le sexe et ceux sur le sang sont voisins, et ils s’interpénètrent bien
souvent, notamment à propos du sang menstruel : « Tu ne t’approcheras
pas, pour découvrir sa nudité, d’une femme souillée par ses règles » (XVIII,
19). Mais cela n’est rien : « Quand femme est fluente de sang, son
flux est dans sa chair ; elle est sept jours en sa menstrue. Qui la touche
est contaminé jusqu’au soir. Tout ce sur quoi elle couche en sa menstrue est
contaminé. Tout ce sur quoi elle s’assied est contaminé » (XV, 19, trad. Chouraqui).
Et cette « contamination » dure sept jours après la fin des règles proprement
dites.
    Cette croyance n’est pas seulement juive, car elle est répandue
chez un grand nombre de peuples dits primitifs, où elle provoque des

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