L'ennemi de Dieu
est vieux. J’ai une beauté de
ce genre dans ma couvée. Argante, et elle aura brisé quelques cœurs avant que
sa vie ne s’achève. Ton nouveau roi va se chercher une épouse, n’est-ce pas ?
— J’imagine.
— Argante
lui conviendrait très bien », fit Œngus.
Ce n’était pas
pour plaire à Mordred qu’il suggérait de faire de sa jolie fille la reine de
Dumnonie. Il voulait simplement s’assurer que la Dumnonie continuerait à
protéger la Démétie des hommes du Powys. « Peut-être l’amènerai-je à l’occasion »,
conclut-il. Il laissa tomber le sujet et m’enfonça son poing serré dans la
poitrine. « Écoute, mon ami, reprit-il avec force, ça ne vaut pas la peine
de se brouiller avec Arthur à cause d’Iseult.
— Est-ce
pour cela qu’il vous a conduit ici, Seigneur Roi ? demandai-je avec
méfiance.
— Naturellement,
imbécile ! répondit joyeusement Œngus. Et parce que je ne supporte pas
tous ces chrétiens sur le Caer. Fais la paix, Derfel. La Bretagne n’est pas si
grande que les braves puissent se mettre à cracher sur les autres. On me dit
que Merlin habite ici ?
— Vous le
trouverez par là-bas, dis-je, montrant du doigt l’arche qui menait au jardin où
fleurissaient les roses de Ceinwyn. Enfin, ce qu’il en reste.
— Je vais
le ramener à la vie, ce salaud. Peut-être peut-il me dire ce qu’il y a de si
particulier dans une feuille de trèfle. Et j’ai besoin d’un charme pour m’aider
à faire de nouvelles filles. » Il rit et s’éloigna. « La vieillesse,
Derfel, la vieillesse. »
Arthur confia
mes trois filles à la garde de Ceinwyn et de leur oncle Cuneglas, puis se
dirigea vers moi. J’hésitai, puis je lui fis signe de me suivre dehors, et l’attendis
sur la prairie, les yeux fixés sur les étendards qui ornaient les remparts de
Caer Cadarn, par-delà les arbres.
Il s’arrêta
derrière moi. « C’est à la première acclamation de Mordred, fit-il à voix
basse, que Tristan et toi avez fait connaissance. Tu te souviens ? »
Je ne me
retournai pas.
« Oui,
Seigneur.
— Je ne
suis plus ton seigneur, Derfel. Nous avons honoré notre serment envers Uther. C’est
fini. Je ne suis plus ton seigneur, mais je serais ton ami. »
Il marqua un
temps d’hésitation et reprit : « Je regrette ce qui s’est passé. »
Je ne bougeai
toujours pas. Non par orgueil, mais parce que j’avais les larmes aux yeux.
« Moi
aussi.
— Vas-tu
me pardonner ? demanda-t-il humblement. Serons-nous amis ? »
Les yeux fixés
sur le Caer, je pensais à tout ce que j’avais fait qui nécessitait un pardon.
Je pensais aux corps sur la lande. Je n’étais qu’un jeune lancier alors, mais
la jeunesse n’excuse pas le carnage. Mais je songeais aussi qu’il ne m’appartenait
pas de pardonner à Arthur ce qu’il avait fait. C’était à lui de le faire. « Nous
serons amis, dis-je, jusqu’à la mort. » Et je me retournai.
Nous tombâmes
dans les bras l’un de l’autre. Nous avions honoré notre serment envers Uther.
Et Mordred était roi.
QUATRIÈME PARTIE LES MYSTÈRES D’ISIS
« Iseult
était belle ? » me demande Igraine.
Je m’accordai
quelques secondes de réflexion : « Elle était jeune, dis-je enfin, et
comme disait son père...
— J’ai lu
ce que disait son père », trancha brusquement Igraine. Quand elle vient à
Dinnewrac, Igraine s’assied toujours et parcourt les parchemins terminés avant
de prendre place sur le rebord de la fenêtre et d’engager la conversation.
Aujourd’hui, cette fenêtre est masquée par un rideau de cuir pour empêcher le
froid d’entrer dans la pièce, mal éclairée par les chandelles de joncs posées
sur mon écritoire et enfumée parce que souffle le vent du nord et que la fumée
du feu ne parvient à s’échapper par le trou percé dans le toit.
« C’était
il y a bien longtemps, dis-je d’un air las, et je ne l’ai vue qu’un jour et
deux nuits. Je m’en souviens comme d’une belle fille, mais j’imagine que nous
avons tendance à embellir tous les jeunes disparus.
— Les
chansons disent toutes qu’elle était belle, objecta Igraine avec un sourire
désenchanté.
— Et pour
cause, c’est moi qui ai payé les bardes. » De même que j’avais payé des
hommes pour rapatrier au Kernow les cendres de Tristan. Il était juste,
avais-je pensé, que Tristan mort retournât dans son pays natal, et
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