L'ennemi de Dieu
Sagramor,
resté avec ses derniers lanciers pour harceler l’armée de Cerdic près de
Corinium. Meurig était là, incapable de dissimuler son irritation de voir
Merlin installé à la place d’honneur. Cuneglas et Arthur encadraient Merlin ;
Meurig lui faisait face, et Culhwch et moi occupions les deux autres places.
Culhwch était arrivé à Glevum avec Cuneglas et sa venue avait été comme une
bouffée d’air pur dans une salle enfumée. Il avait hâte d’en découdre. Mordred
mort, déclara-t-il, Arthur était roi de Dumnonie, et Culhwch était prêt à
patauger dans une mare de sang afin de protéger le trône de son cousin. Si
Cuneglas et moi partagions son ardeur belliqueuse, Meurig couina des conseils
de prudence. Arthur ne disait mot, et Merlin paraissait assoupi. Mais je
doutais qu’il le fût vraiment, car un léger sourire illuminait son visage, mais
il gardait les yeux clos, comme pour nous faire croire qu’il était superbement
indifférent à tout ce que nous disions.
Culhwch
accueillit le message de Bors avec mépris. Il affirma que jamais Lancelot ne
tuerait Guenièvre et qu’il suffisait qu’Arthur conduisît ses hommes dans le sud
pour que le trône lui tombât entre les mains : « Demain !
lança-t-il à Arthur. Nous partirons demain. Tout sera terminé dans deux jours. »
Cuneglas était
un peu plus prudent. Il conseilla à Arthur d’attendre l’arrivée de ses autres
lanciers du Powys. Mais, sitôt que ces hommes seraient là, il n’avait pas l’ombre
d’un doute : nous devions déclarer la guerre et marcher vers le sud. « De
combien d’hommes dispose Lancelot ? demanda-t-il.
— Sans
compter les hommes de Cerdic ? fit Arthur dans un haussement d’épaules.
Trois cents, peut-être ?
— Une
bagatelle ! rugit Culhwch. Ils seront morts avant le petit déjeuner.
— Et une
légion de chrétiens farouches », l’avertit Arthur.
Culhwch dit
son opinion des chrétiens. Meurig bredouilla d’indignation, mais Arthur apaisa
le jeune roi du Gwent : « Vous oubliez une chose, dit-il d’une voix
douce. Je n’ai jamais voulu être roi. Je ne le veux toujours pas. »
Le silence se
fit autour de la table, mais, à ces mots, un murmure de protestation s’éleva
des rangs des guerriers attroupés. C’est Cuneglas qui brisa le silence : « Ce
que vous pouviez désirer n’a plus aucune importance. Il semble que les Dieux
aient décidé pour vous.
— Si les
Dieux me voulaient roi, répondit Arthur, ils se seraient arrangés pour qu’Uther
épouse ma mère.
— Mais
alors, qu’est-ce que tu veux ? mugit Culhwch d’un ton désespéré.
— Je veux
retrouver Guenièvre et Gwydre, dit Arthur à voix basse. Et je veux la défaite
de Cerdic, ajouta-t-il en baissant un instant les yeux vers la table rayée. Je
veux vivre comme un homme ordinaire. Avec une femme et un fils, une maison et
une ferme. Je veux la paix ! » Et, pour une fois, il ne parlait pas
de toute la Bretagne, mais de lui seul : « Je ne veux pas être lié
par des serments, je ne veux pas être éternellement confronté aux ambitions
humaines, je ne veux plus être l’arbitre du bonheur des hommes. J’aspire
uniquement à faire ce que le roi Tewdric a fait. Je veux trouver un coin de
verdure où m’installer.
— Et y
moisir ? fit Merlin, s’arrachant à sa feinte torpeur.
— Il y a
tant de choses à apprendre, répondit Arthur en souriant. Un homme fait deux
épées dans le même métal et sur le même feu : pourquoi une lame restera
fidèle quand l’autre pliera dès le premier échange ? Il y a tant de choses
à découvrir.
— Il veut
être forgeron, fit Merlin à l’intention de Culhwch.
— Ce que
je veux, c’est récupérer Guenièvre et Gwydre, répondit Arthur d’un ton ferme.
— En ce
cas, vous devez prêter serment à Lancelot, dit Meurig.
— S’il se
rend à Caer Cadarn, fis-je avec amertume, une centaine d’hommes l’attendront
pour le tailler en pièces comme un chien.
— Pas si
les rois m’accompagnent », objecta Arthur d’une voix douce.
Tout le monde
se tourna vers lui, et il parut surpris de notre perplexité. C’est Culhwch qui
se décida enfin à rompre le silence : « Les rois ? »
Arthur sourit :
« Si mon seigneur roi Cuneglas et mon seigneur roi Meurig voulaient bien m’accompagner
à Caer Cadarn, je doute que Lancelot ose me tuer. En présence des rois de Bretagne,
il lui faudra bien discuter, et s’il discute, nous
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