L'ennemi de Dieu
siffla,
soudain alarmée. Me retournant, je vis qu’elle avait découvert un petit
squelette. Fouillant dans ses peaux de loutres, elle en sortit une sacoche de
cuir dont elle retira deux plantes sèches. Elles avaient des feuilles pointues
et de petites fleurs dorées flétries : je compris qu’elle se conciliait
les ossements par des asphodèles. « C’est une enfant qu’ils ont enterrée,
dit Ceinwyn pour expliquer la petite taille des os ; la gardienne du
Chaudron et la fille de l’un des trois druides. Elle avait des cheveux courts
et un bracelet en peau de renard au poignet, et ils l’ont enterrée vive pour qu’elle
garde le Chaudron jusqu’à ce que nous le retrouvions. »
L’âme morte de
la gardienne du Chaudron maintenant apaisée par l’asphodèle, Nimue retira de la
caillasse les os de la fille, puis se remit à creuser le trou à l’aide de son
couteau et m’aboya de venir l’aider. « Creuse avec ton épée, Derfel ! »
ordonna-t-elle. Docilement, j’enfonçai la pointe d’Hywelbane dans la fosse.
Et trouvai le
Chaudron.
On n’aperçut d’abord
qu’un morceau d’or poussiéreux, puis Nimue passa la main et dégagea un large
bord doré. Le Chaudron était beaucoup plus gros que le trou que nous avions creusé.
J’ordonnai à Issa et à un autre homme de l’élargir. Nous vidions les cailloux
avec nos casques, œuvrant avec l’énergie du désespoir tandis que l’âme de
Merlin vacillait au terme d’une longue vie. Nimue haletait et pleurait en s’attaquant
au tas serré de pierres apportées au sommet depuis le lac sacré de Llyn Cerrig
Bach.
« Il est
mort ! cria Ceinwyn, agenouillée à côté de Merlin.
— Il n’est
pas mort ! » cracha Nimue entre ses dents serrées avant d’attraper le
bord doré entre ses mains pour essayer de le dégager avec la dernière énergie.
Je la rejoignis et il me parut impossible de déplacer l’immense récipient avec
le monceau de pierres qui s’y trouvaient encore. Mais avec l’aide des Dieux
nous réussîmes à extraire le grand objet d’or et d’argent de son puits noir.
Ainsi revit le
jour le Chaudron perdu de Clyddno Eiddyn.
C’était une
grande coupe aussi large qu’un homme aux mains tendues et profonde comme la
lame d’un couteau de chasse. Reposant sur un petit trépied doré, elle était
faite en argent massif inégal et était décorée de somptueux filigranes d’or.
Trois anneaux d’or permettaient de le suspendre au-dessus du feu. C’est le plus
grand Trésor de la Bretagne que nous arrachâmes à sa tombe et débarrassâmes de
ses pierres, et c’est alors que je vis sa décoration : des guerriers, des
Dieux et un cerf. Mais le temps nous manquait pour admirer le Chaudron. Nimue
le débarrassa frénétiquement de ses dernières pierres et le replaça au fond du
trou avant de débarrasser le corps de Merlin de ses fourrures noires. « Aide-moi ! »
cria-t-elle. Ensemble, nous fîmes rouler le vieillard dans la fosse, jusque
dans la grande coupe d’argent. Nimue rentra ses jambes par-dessus le rebord en
or et le recouvrit d’un manteau. C’est alors seulement que Nimue s’adossa aux
rochers. Il gelait, mais son visage était inondé de sueur.
« Il est
mort, répéta Ceinwyn d’une petite voix effarouchée.
— Non,
fit Nimue d’un air las. Non, il n’est pas mort.
— Il
était froid ! protesta Nimue. Il était froid et ne respirait plus,
reprit-elle en s’agrippant à moi et en se mettant à sangloter doucement. Il est
mort.
— Il vit »,
trancha Nimue d’une voix rude.
Il s’était
remis à pleuvoir. Un petit crachin balayé par le vent qui nettoyait les pierres
et perlait sur les lames ensanglantées de nos lances. Merlin gisait emmitouflé
et immobile dans la fosse au Chaudron, mes hommes observaient l’ennemi depuis
le sommet des pierres grises. Les cavaliers noirs nous encerclaient, et je me
demandais quelle folie nous avait conduits jusqu’à cet endroit misérable,
glacial et ténébreux, au fin fond de la Bretagne.
« Que faisons-nous
maintenant ? demanda Galahad.
— Nous
attendons, aboya Nimue. Nous attendons. »
*
Jamais je n’oublierai
le froid de la nuit. Le gel formait des cristaux sur la roche, et toucher une
lame c’était laisser un bout de peau collé à l’acier. Il faisait un froid de
canard. À la brune, la pluie se transforma en neige puis cessa. Le vent tomba
et les nuages dérivèrent vers l’est pour révéler une énorme
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