L'enquête russe
sont aux mains de nos ministres à l’étranger et de leurs entregents qui participent à ce que nous appelions le secret du roi . Naguère vous en fûtes tous deux d’habiles affidés. Non, Nicolas devait assurer la sûreté du prince. Depuis des mois, toutes les informations recoupées laissent craindre de possibles tentatives contre sa vie, en particulier lors de son séjour à Paris. Imaginez les réactions de l’Europe si nous étions incapables de protéger l’hôte illustre de Sa Majesté. Peignez-vous en cette occurrence notre prestige entaché et notre influence dans le concert des puissances réduite à quia à un moment clé !
— Hé, monseigneur ! répliqua Nicolas en dépit des gestes modérateurs de Le Noir. Que dirait l’Europe qui nous morgue si elle apprenait que ceux qui selon toute raison sont chargés d’assurer la sécurité du comte du Nord, sont ceux-là même qu’on laisse dans l’ignorance des conditions des périls qui l’entourent ? Je ne puis comprendre que ce soitaujourd’hui que vous en veniez à ces confidences. Quel événement nouveau nous cachez-vous, qu’on connaîtra sans doute à la Saint-Michel ou aux Rois ?
Nicolas s’attendait à une verte réplique qui ne vint pas. Certes Sartine tambourina sur le bureau et se haussa sur la pointe de ses escarpins, mais son visage aigu demeura égal, sinon serein.
— Comme je vous comprends et quelle rage serait la mienne si j’occupais vos fonctions. Devrai-je vous rappeler ce que je vous ai dit au premier jour ? La loi du genre demeure que l’incertitude est la marque de la subordination.
— Oui, répliqua Nicolas grommelant, je vais aller appliquer la formule aux moutons qui paissent mes landes autour de Ranreuil !
— Et vous me ferez l’honneur du gigot, cher Nicolas, dit Sartine gracieusement. De fait, si je prends aujourd’hui la responsabilité de m’ouvrir à vous d’une situation dont fort peu, et je pèse mes mots, sont au fait, c’est signifier la confiance que je place en vous.
— Il ne manquerait plus, après vingt-deux ans de services, que vous doutiez de moi. J’ai scrupule à vous le rappeler.
— Alors, à votre tour de me mettre au fait.
— Je craindrais d’enrayer votre patience, le menu de la cuisine d’enquête n’étant pas toujours à votre goût.
Cette dernière pique clôtura la passe d’armes au grand soulagement de Le Noir, homme paisible qui n’aimait pas les conflits, mais comprenait l’acrimonie de Nicolas, ayant eu maintes fois à subir lui aussi les contrecoups du caractère de M. de Sartine. Nicolas entra dans les détails récents de l’enquête qui furent écoutés sans interruption.
— Une inquiétude désormais me taraude, conclut Nicolas. Si la vie du prince est menacée, qui sera l’instrument d’un éventuel attentat et où et comment celui-ci sera-t-il perpétré ?
— Mon cher, c’est votre enquête et ce pour quoi vous êtes dans les murs. Il n’y a rien de plus incertain que ces matières. Tout ce qui s’est déroulé à l’Hôtel de Lévi augure mal la suite des événements. Le sang appelle le sang, et déjà quatre morts, peut-être six, liés de près ou de loin à notre affaire.
— Concernant l’architecte de ce plan criminel, demanda Le Noir soucieux, auriez-vous des soupçons qui puissent aider Nicolas à organiser les défenses ?
— Nous marchons sur un plancher flottant. L’Angleterre en première ligne, mais aussi les Américains qui pourraient n’avoir, maintenant que la victoire est proche, d’autre dessein que de nous affaiblir et rédimer ainsi les efforts de notre diplomatie lors de la conclusion de la paix et des traités conséquents. Je n’ose songer aux Russes dont la volonté de médiation que vous savez contredit, sinon sape, nos propres intérêts.
— Voilà qui est clair et réduit les perspectives !
— Allons, point d’ironie et prenez soin de vous.
Sur ce dernier mot et après un salut à Le Noir, Sartine sortit à pas pressés.
— Ouf ! dit Le Noir s’épongeant le front d’un mouchoir, j’ai bien cru que la séance allait tourner au drame. Il a été égal à lui-même. Quant à vous, cher Nicolas, votre patience fut méritoire !
— Que ne nous a-t-il expliqué cela au début ! Cela aurait sans doute évité bien des drames. Est-il si assuré en lui-même qu’aucun doute ne l’effleure jamais ?
— Moins on sait, moins on doute et pourtant le doute est l’école de la
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