L'enquête russe
meilleurs délais, un traducteur de russe susceptible, dès que nous tiendrons la matrice, de transcrire les dépêches saisies par le cabinet noir. Les as-tu rapportées de Versailles ?
— Elles sont ici en dépit des cris d’orfraies de leurs détenteurs habituels. Il a fallu en appeler à M. de Vergennes qui a heureusement tranché en ma faveur. N’oublie pas le napperon, surtout !
— Ma Doué, je n’y pensais plus !
Sur le chemin de l’Hôtel de Lévi, Nicolas dressait ses plans. Le meilleur moment pour s’emparer du livre détenu par Nikita lui paraissait être celui du souper au moment où le domestique, pris par demultiples tâches, désertait ses quartiers et ne prêtait aucune attention aux allées et venues d’un personnage qui, depuis des jours, faisait partie des meubles et bénéficiait de l’indifférence générale. Quant au prince, il espérait que, se présentant devant lui juste avant son souper, auquel étaient souvent conviés des invités extérieurs, il parviendrait à limiter l’éclat qu’il pressentait.
Il trouva Nikita qui attendait justement les hôtes du prince dans le grand vestibule. Il accueillit Nicolas avec son amabilité habituelle.
— Puis-je vous aider, monsieur le marquis ?
— Certes, je souhaiterais parler à Son Excellence le prince Bariatinski pour une communication qui ne souffre aucun délai.
— Je ne sais si… Il se trouve pour l’heure avec Son Altesse impériale.
Nicolas insistant, à regret le majordome se retira. Peu après il reparut, précédant l’ambassadeur qui parut irrité d’être ainsi dérangé.
— Monsieur le marquis, quelles que soient les raisons qui autorisent votre présence permanente dans cette ambassade, cette tolérance ne va pas jusqu’à intervenir à tout moment et sans de bonnes raisons. Puissiez-vous avoir la courtoisie de le comprendre. Suis-je assez clair ?
— On ne peut plus. Cependant ces raisons sont graves et quand vous en apprendrez la teneur, je pense que vous comprendrez que je doive vous déranger.
— Alors, quelles sont-elles ?
— Le secrétaire du prince n’est pas rentré de Chantilly.
— Oui, il paraît en effet. Il a sans doute manqué le rendez-vous du départ. J’ai fait envoyer une voiture pour le prendre à Chantilly. Nous l’attendons, le prince l’a réclamé à plusieurs reprises.
— L’attente, j’ai le regret de vous le dire, risque d’être longue.
— Qu’est-ce à dire, monsieur le marquis ?
— J’ai le regret de vous annoncer que Dimitri a été tué par les gardes du prince de Condé. J’ajouterai, hélas, que lesdits gardes n’ont pas tiré par inadvertance, mais parce que l’homme s’était rendu coupable d’un crime abominable sur une fille galante dans le grand parc du Château, la nuit dernière.
L’ambassadeur, atterré, réfléchissait à haute voix.
— C’est vrai que je ne l’ai point vu ce matin au départ de la chasse… Le prince de Condé ?
— Il a été informé du drame et a tenu, je n’ai pu que l’approuver, à tenir la chose secrète afin de ne point troubler la visite de Son Altesse impériale.
— Et… où est…
— Le corps ? Il a été porté à la basse-geôle du Grand Châtelet avec celui de sa victime mutilée d’une abominable façon.
— Est-on assuré de sa culpabilité ?
— Sans doute aucun. L’arme du crime le prouve sans conteste.
Nicolas sortit de son habit un paquet long enveloppé de papier qu’il déballa. La dague apparut.
— Est-ce là votre preuve ? Une arme trouvée ne signifie rien.
— Sauf, monsieur l’ambassadeur, que l’arme en question appartient à la collection du grand-duc Paul et que, seul, un de ses proches était à même de la dérober.
— Êtes-vous sûr que c’est cette arme volée que vous tenez là ?
— Elle correspond à la description que m’en a faite Son Altesse lors du dîner où il m’avait fait l’honneur de me convier. Le plus simple serait de lui demander de le confirmer.
— Il serait en effet souhaitable que ce soit vous qui lui apportiez ces tristes nouvelles.
Nicolas comprenait que l’ambassadeur se défaussât devant cette besogne.
— Malheureusement ce n’est pas la seule information que j’ai à lui apporter.
— Comment ? Quoi d’autre de pire ?
— Tout autant, sinon davantage. Dimitri, enfin alias Ivan Kripaeev de son vrai nom, comme vous le savez sans doute, est soupçonné de deux assassinats de
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