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L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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sauvagement, une fille galante dans le parc de Chantilly. Poursuivi par des gardes du prince de Condé, lequel a été informé du drame, il a été tué. J’ajoute pour que le tableau, hélas, soit complet, qu’il est soupçonné d’avoir, de similaire manière, assassiné deux filles sur le boulevard.
    Nicolas se souviendrait longtemps de la scène de furie qui fut la conséquence de ces révélations. Écumant et déblatérant de longues minutes, Paul ravagea le cabinet en renversant dans une course saccadée fauteuils et guéridons, balayant vases et statuettes précieuses. Il parlait russe jusqu’au moment où, s’arrêtant devant Nicolas et prenant un des boutons de son habit, il le secoua en reprenant le français.
    — Complot… ou conspiration… Autour de moi. Toujours, toujours… Tout pour accuser mon fidèle Dimitri. On veut me tuer… On commence par ceux qui m’aiment… Mon père ! Oh ! Je sais bien de qui vient le coup… Je ne le sais que trop ! Trouvez le vrai coupable, monsieur, et n’écoutez pas les accusations insensées de ceux qui veulent ma perte !
    Comme la crise s’atténuait par degrés, Nicolas, d’une voix douce et compatissante, interrogea le grand-duc.
    — D’où provient, monseigneur, la confiance absolue que vous accordiez à Dimitri ?
    — Accordiez, accordiez ? Que j’accorde toujours à ce pauvre et saint ami.
    Il se signa trois fois à la manière des orthodoxes.
    — Un saint martyr. Je le peux bien dire à vous. C’est sur la recommandation d’un mien ami de Saint-Pétersbourg, de ceux qui m’informent de ce qui se trame au… Je n’en dirai pas plus. Cherchez le coupable, monsieur.
    Il parlait comme un enfant d’une voix dolente, caressant le meuble qu’il avait épargné tout au long de sa crise.
    Nikita était entré dans la pièce pour annoncer que les invités étaient arrivés et que le prince était servi. L’ambassadeur s’éclipsa et Nicolas salua et sortit. Dans l’agitation générale de la réception, il erra dans l’hôtel et, au moment propice, se faufila dans un escalier de service qui le conduisit vers les logements des combles. Il gagna rapidement la chambre de Nikita. La clé que Bourdeau avait fait forger fut introduite. Le pêne joua, et la porte s’ouvrit. Le livre et le napperon n’avaient pas bougé, il s’en saisit et, à l’emplacement où ils se trouvaient, il plaça un papier avec une croix de Saint-André.
    Il n’était pas lui-même capable d’expliquer son geste. Était-ce un leurre ? Une provocation ? Il savait par Corberon combien saint André était vénéré en Russie comme l’apôtre de l’évangélisation, et il lui semblait utile d’intriguer Nikita, le lançant, lorsqu’il découvrirait le larcin, vers des soupçons et des pistes internes à son ambassade. Il referma soigneusement la porte, traversa les couloirs avec précaution, se retirant dans des coins d’ombre dès qu’un bruit se faisait entendre. Il parvint au rez-de-chaussée sans encombre et, n’ayant rien à faire de plus à l’Hôtel de Lévi, rejoignit l’âme légère le bureau de M. Le Noir. Il trouva celui-ci inquiet. Il revenait de Versailles, y avait rencontré Vergennes et Sartine. On lui avait appris les événements deChantilly et il se morfondait d’impatience d’en connaître le détail de la bouche de son commissaire aux affaires extraordinaires.
    Nicolas lui dressa le tableau exhaustif des derniers ressauts de l’enquête. Le Noir s’émerveilla de l’audace de son interlocuteur, s’effarant après coup des conséquences qu’aurait pu avoir la découverte du vol et de son auteur. Désormais Nicolas attendait avec impatience le lendemain quand seraient rapprochés les copies de la correspondance de Nikita, le napperon-grille et le livre pieux, matrice de ce système de chiffrement. Le Noir l’invita à partager son souper. Cette maison était celle d’un gourmet et il lui fut servi un macaroni à la sicilienne qui, en strates savoureuses, rassemblait un hachis de filet de bœuf braisé et des couches successives de pâtes, le tout noyé d’un triple consommé et recouvert d’un lit de fromage de Parme. Le repas fut joyeux et dignement arrosé de vin de Clos-Vougeot issu d’un foudre que M. Feydeau de Brou, maître des requêtes et intendant de Bourgogne, lui fournissait libéralement. Il fut question du séjour du comte du Nord à Chantilly et Le Noir rapporta la rumeur publique selon laquelle «  le roi

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