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L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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On peut supposer, en replaçant les faits dans l’ensemble, que ce sont des Russes.
    — Et les interrogations ?
    — Primo, sachant qu’il était trompé, qu’a fait Harmand ? A-t-il exercé un chantage qui lui a été fatal ? Nous avons trouvé les louis dans sa chambre. Était-ce un premier versement pour service rendu ? Pourquoi l’a-t-on assassiné ? Secundo, si ce sont les Russes, nous en avons beaucoup : Pavel, Dimitri, Nikita, la « princesse » de Kesseoren et ses deux spadassins ! À nous de débrouiller la pelote.
    Et, sur ce plan de bataille, les deux amis se séparèrent, l’un se dirigeant vers l’hôtel de police et l’autre vers le faubourg Saint-Marcel.

XIII
    TRICTRAC ET APPEAUX
    T rictrac  : bruit que font les chasseurs pour effaroucher le gibier d’eau afin de le faire tomber dans leurs pièges.
    Dimanche 16 juin 1782
    Les jours précédents n’avaient guère apporté du nouveau à l’enquête. Le temps, désormais, pressait ; le couple de visiteurs quitterait Paris le 19. Le programme se poursuivait cahin-caha avec un rien de lassitude tant du côté russe que du côté français par la répétition des réceptions et des harangues. Pour l’heure, Marly avait les honneurs de la curiosité grand-ducale ; Nicolas retrouvait avec plaisir un lieu découvert jadis lors d’un des rares séjours du feu roi, qui ne l’appréciait pas. Pour le coup, l’éblouissement avait été immédiat. L’homme du roi et de l’État aimait la grandeur écrasante de Versailles, l’homme privé goûtait Marly, dont la splendeur n’accablait pas. L’hôtel du grand roi et ses douze pavillons aux façades en trompe-l’œil ordonnaientfamilièrement les eaux et la végétation autour d’eux. Jardins, terrasses et bosquets offraient l’image d’une harmonie simple et sans apprêts, d’une symphonie entre l’élégance des bâtiments et l’enjouement de la nature. Partout les eaux étaient présentes, en pièces, bassins, cascades et abreuvoirs, et si proches, et si humaines, que de beaucoup d’endroits on entendait le saut des carpes. Ces poissons gigantesques avaient-ils connu Louis XIV ? Les écailles multicolores de ces monstres bienveillants étincelaient au soleil de juin. C’était un mélange de bleu, de jaune, de blanc et d’or, des joyaux vivants et agités. Nicolas songeait que tout homme, fût-il le plus grand roi du monde, avait droit à une retraite, à un refuge aimé. Marly s’imposait comme le théâtre favori des fuites de l’esprit, du repos de l’âme et du rêve. Ici s’adoucissait la rigide étiquette et le monarque, libéré, pouvait écarter les atours obligés et s’en remettre à son choix souverain. Ici Louis faisait retour sur lui-même, tout y concourait. Une nostalgique émotion submergeait Nicolas, alors qu’en l’honneur du grand-duc, les eaux jouaient et s’élevaient en crépitant. Bientôt un arc-en-ciel se forma au-dessus des bassins, suscitant des murmures d’admiration. Il songea à Ranreuil, à son granit et à ses bruyères, à ses marais et aux vents du libre océan.
    Tout en suivant le cortège, le présent s’imposa à lui. Il ne se passait rien à l’Hôtel de Lévi. Nikita, observé et épié, paraissait serein et rien ne transpirait dans son attitude d’une éventuelle inquiétude consécutive à la soustraction du livre pieux et du napperon. Après tout, il n’était peut-être qu’un simple agent, une mouche intérieure qui se contentait de rendre compte à Saint-Pétersbourg. Cetteactivité secrète n’impliquait nullement des actes criminels. Il était aberrant de se mettre martel en tête alors que des coupables évidents pouvaient s’imposer, Pavel, Dimitri, la princesse de Kesseoren. Ne courait-il pas une mauvaise voie ? Il avait multiplié les conversations avec l’homme qui s’y était prêté avec courtoisie et déférence, y prenant même un évident plaisir. Restait que la ruse du commissaire, ce papier avec la croix de Saint-André, avait dû produire son effet et Nikita était sur ses gardes vis-à-vis du domestique.
    Pour le reste, les rapports quotidiens de Bourdeau le désespéraient. Il déplorait que le lieu où les deux spadassins avaient logé demeurât inconnu : on aurait pu y relever des indices intéressants. Quant à la princesse de Kesseoren, on avait perdu sa trace en dépit de la mobilisation de dizaines de mouches et des efforts de Gremillon, de Rabouine et de Tirepot. À force de

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