L'enquête russe
je l’avais prévenue du sort qui l’attendait. Nous sommes en temps de guerre.
Les ordres donnés, l’exécution est immédiate. Des voitures sont réunies. Gremillon et Rabouine ont rameuté leurs gens. Le cortège s’ébranle, Nicolas et Bourdeau dans la voiture de tête. À neuf heures, après questionnement de l’habitant, la folie est repérée et son encerclement achevé. Le bâtiment de style classique, flanqué d’une lanterne ouverte, domine un large panorama et surplombe le parc et les pièces d’eau du château. La grille, donnant accès à un petit jardin planté d’ifs en cône et de buis, se révèle solidement verrouillée. Un haut mur clôture sur trois côtés la propriété, le dernier formant terrasse donne sur un à-pic. Nicolas s’évertue, rossignol en main, à forcer la serrure sans y parvenir. À voix basse, quelqu’un les hèle. C’est Gremillon qui tient à la main de curieux instruments.
— Il faut passer le mur, dit le sergent.
— Oui, le conseil est facile. Comment le sautes-tu ? répond Bourdeau, hilare.
— Non, mais je vais vous dresser un escalier. Après, en haut, il faudra sauter.
À la surprise des deux policiers, il insinue plusieurs longs clous de charpentier dans les interstices des moellons. À coup de marteau, la tête en est matelassée de tissus pour assourdir le bruit, il enfonce solidement les pièces de fer, en quinconce verticale, de telle sorte que la partie dépassant dumur puisse supporter aisément le poids d’un homme. Son travail achevé, il les salue, leur désigne l’échelle ainsi constituée, recule et disparaît dans l’ombre de la nuit qui tombe.
Nicolas se hisse le premier sur le faîte du mur, il s’y assied à califourchon. De là-haut, la vue est dégagée, la maison silencieuse ; pourtant, il lui semble qu’une lointaine lueur tremblote à l’intérieur d’une croisée du premier étage. Un souffle court à côté de lui, c’est Bourdeau qui l’a rejoint. Nicolas désigne le jardin d’un geste et se laisse choir sur le gazon, aussitôt suivi par l’inspecteur. À pas de loup, ils s’approchent de la demeure. En cas de danger, la pelouse ne leur offre aucune espèce de retirade. La nuit est désormais tombée. Ils gravissent les degrés qui mènent à la porte centrale. Elle est close. Nicolas réitère le coup du rossignol, mais cette fois avec plus de succès. Le pêne joue, ils sont dans la place. Bourdeau, jamais à court d’initiatives, sort la petite lanterne de poche qu’il a jadis fait fabriquer par un artisan, il bat le briquet et allume la mèche. Un faible halo de lumière éclaire un élégant vestibule que seule meuble une console supportant un buste antique. Ils avancent, le pas glissant sur le marbre. Au fond un escalier, de chaque côté deux grandes portes. Ils les entrouvrent l’une après l’autre. Un salon qui donne sur un boudoir, une bibliothèque et en retour un corridor qui mène à l’office. Dans celui-ci, de la vaisselle sale que Bourdeau renifle.
— C’est du frais, murmure-t-il. La ripopée est encore tiède.
La constatation les fait redoubler de prudence. Rien au rez-de-chaussée. La cave ? Mais pourquoi s’y cacherait-on lorsque tout concourt à garantirvotre retraite ? Nicolas rappelle à Bourdeau qu’il a cru apercevoir une lueur au premier et lui recommande de prendre garde. Ils montent et trouvent un hall carré avec deux fauteuils et un guéridon, sur lequel donnent quatre autres pièces. Les portes sont fermées. Laquelle ouvrir ? Par force gestes, ils décident d’en ouvrir chacun une en parallèle. Le parquet sous leurs poids craque. Si quelqu’un est là, aux aguets, il ne peut que les avoir entendus. Leurs sens sont aiguisés par la proximité d’un danger tapi dans l’ombre.
Au moment où Nicolas ouvre la grotte obscure d’une chambre, il n’y distingue rien ; Bourdeau ayant conservé la lanterne sourde, un coup de feu éclate derrière son dos. Dans l’instant il croit que l’on a tiré sur lui. Cependant il ne ressent rien. Alors il entend un corps qui tombe dans un grand cri. Comme dans un cauchemar, les impressions se succèdent d’une manière presque simultanée. La lanterne a roulé sur le parquet, son verre brisé, l’huile s’est répandue et une grande flamme jaune s’élève déjà près du corps effondré de Bourdeau. Il se précipite. À nouveau un coup de feu éclate. Une balle lui frôle l’oreille en sifflant et va fracasser le
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