L'enquête russe
appartient à l’hôtel. Seuls M. Lachère et Harmand l’utilisaient.
— Hein !
Bourdeau lui décocha derechef une bourrade qui le fit vaciller.
— Qu’as-tu à jaser là-dessus ? Te voilà dans le trébuchet. Crois-tu que ta trémeur 16 tant puante ne nous soit pas sensible ? Que prouve-t-elle à ton avis ?
— Je dois vous avouer…
— Ah ! Enfin un mot de bonne volonté.
— … qu’ayant dissimulé à mon maître l’heureuse surprise que je lui ménageais, je ne pouvais lui demander son passe. J’ai voulu demander son aide à M. Harmand…
— Sa complicité, plutôt.
— … Il était absent. Connaissant le tiroir où il rangeait le passe de l’hôtel, je l’ai emprunté.
— Et que comptais-tu en faire ?
— Le remettre en place. J’étais décidé à arriver le premier à l’hôtel le lendemain. Il n’y avait aucune raison que la chose fût connue.
— Tout cela est bel et bon, intervint Bourdeau, mais par quelle opération cette clé aujourd’hui se trouve-t-elle dans ta poche au lieu de se trouver dans le tiroir du comptoir du commis ? Il y a là un mystère dont tu dois nous éclairer les ombres. En bref, pourquoi n’as-tu pas remis la clé en place ? La question est simple et ta réponse se doit de l’être aussi.
Veyrat prit un air buté qui augurait une résistance que rien ne viendrait briser.
— Tu ne veux rien dire ?
— Je n’ai plus rien à faire ici.
— En effet.
Bourdeau sortit en coup de vent après un signe de Nicolas. Il revint presque aussitôt accompagné de deux exempts.
— Veyrat dit La Jeunesse, vous serez écroué à la prison royale du Grand Châtelet. Votre cas est pendable, tant nourri déjà est votre dossier. Vous y demeurerez au secret aussi longtemps que l’enquête en cours ne sera pas achevée et qu’elle aura ou non démontré votre innocence dans ce meurtre.
— Il vous en cuira. Je suis protégé.
— Fi ! Monsieur, des menaces maintenant ? Que voilà une belle raison ! Et qui éclaire notre lanterne.
Les deux exempts entraînèrent Veyrat qui se débattait.
Dans la voiture qui les ramenait au bureau de permanence, les deux policiers tentaient d’ordonner le fatras d’informations glanées rue de Richelieu.
— Un officier russe de noble extraction, résuma Nicolas. Un voyage à Paris sans doute destiné à faire sa cour au tsarévitch. Vie dissolue, jeu et filles galantes. Les habitudes du grand tour .
— Et n’oublie pas le goût pour l’eau-de-vie !
— Ses appétits et sa conformation lui font rechercher des filles galantes. Mais aucune liaison soutenue ; elles refusent de renouveler leurs rencontres. On a ramassé un extrait d’un de ces almanachs du plaisir où sont répertoriés les filles, leurs spécialités et leurs tarifs. Nous pouvons penser qu’hier soir il ne voulait pas sortir. L’alcool, sans doute, mais rien ne permet d’écarter d’autres raisons. Peut-être attendait-il une visite ? Lorsqu’il a été surpris et massacré, il se trouvait vêtu de sa seule chemise. Il avait bu, sans conteste possible. J’ajouterai à tout cela les icônes retournées mais non jetées au sol, une monnaie américaine, des traces indistinctes, un grand carnet aux pages arrachées. Pourquoi ?
— Pour la notule sur la fille, qui te dit qu’il s’agit de son écriture ? Nous n’en avons trouvé aucun autre spécimen.
— Et demeure la question des clés non entièrement résolue. Qu’attendre de l’absence du commis de l’hôtel qui décidément tarde à paraître ?
— De tout cela, quelle conclusion tires-tu ?
— Davantage de questions que de réponses ! Qui est réellement le comte de Rovski ? Nous ne savons rien de lui. J’interrogerai Corberon et Vergennes. Il serait trop long de consulter notre ministre à Saint-Pétersbourg. La victime jouait gros jeu, avait-elle des dettes ?
— En tout cas le vol n’est pas le mobile de sa mort. Rien n’a été volé. Et aucune trace de l’arme du crime.
— Sauf ces feuilles arrachées dont nous n’avons nul vestige. Attendons l’ouverture.
— Cette affaire tombe au plus mauvais moment alors que nous sommes mis en cruelle 17 avec la préparation de notre coup chez les Russes. Après l’ouverture, s’imposera une visite à un parfumeur et à la Paulet. Une autre au tripot où jouait le comte et où il a été remarqué par la dame en question. Il faudra entendre Harmand quand il paraîtra.
— Et je
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