L'enquête russe
crains devoir visiter M. Franklin afin d’essayer de savoir qui est ce mystérieux Américain qui aurait perdu sa médaille dans la chambre d’un officier russe. Il est probable qu’il me prodiguera un apozème lénifiant de sa façon et débitera des apophtegmes de son habituel ton pédant.
— Tu ne le goûtes guère ?
— Tu ne l’as pas comme moi escorté d’Auray à Paris lors de son arrivée en France.
À la basse-geôle, ils arrivèrent peu après le cadavre qui, déshabillé et lavé, gisait sur une table d’ouverture. Sanson et Semacgus s’affairaient et préparaient leurs instruments.
— Bel exemplaire ! dit le chirurgien de marine. Estoqué au bon endroit. La chose est rare. Je ne l’avais jamais vue jusqu’à présent.
Tandis que Bourdeau allumait sa pipe de terre, le commissaire exposa à ses deux amis les circonstances constatées de la mort du comte de Rovski et les questions qu’elles suscitaient.
— Il n’y aura guère de difficultés pour déterminer les causes du décès, dit Sanson en hochant la tête.
— C’est pourquoi il convient de s’attacher au détail, le principal étant connu.
Le silence s’établit. Nicolas ouvrit sa tabatière où figurait le portrait du feu roi. Une série d’éternuements lui fit un moment oublier le présent. Son cœur se serra. Il songea avec nostalgie à cette époque déjà lointaine, celle de sa jeunesse. Un long moment s’étira, coupé çà et là par les remarques laconiques des deux praticiens. Nicolas contemplait la voûte en ogive, il remarqua les concrétions calcaires qui s’étaient formées comme dans une grotte. Jadis il en avait observé d’identiques dans les souterrains du château de Ranreuil où, un jour, en dominant sa peur, il s’était engagé. Soudain il revit la forme gracile d’un écureuil qui se faisait surprendre au pied d’un grand chêne près des douves. Pourquoi certaines scènes du passé resurgissaient-elles soudainement sans que rien ne les ait appelées ? Mais déjà Sanson prenait la parole après avoir proposé à Semacgus de conclure. Depuis des années ces politesses étaient d’usage entre les deux hommes.
— Messieurs, la victime est de sexe masculin, âgée d’environ vingt-cinq ans, taillée en Hercule. La mort est due à une blessure faite par un instrument piquant. On s’est acharné à porter de nombreuxcoups qui ont touché les vaisseaux artériels et veineux du bas-ventre, déclenchant une hémorragie foudroyante et fatale. Pour le reste nous avons constaté un foie…
Il regarda Semacgus.
— Sanson veut dire que nous sommes étonnés qu’un homme aussi jeune possède un foie aussi abîmé.
— Il était fort porté sur l’alcool, indiqua Nicolas.
— Ceci explique cela, reprit Sanson. Enfin l’homme était avantageusement conformé, s’apparentant plus à Priape qu’à Hercule précédemment évoqué, ce qui recoupe ce que vous nous avez appris. Nous notons l’acharnement sur les organes de la génération. Cette constatation peut sans doute vous intéresser.
— Au plus haut point.
— J’ajoute, dit Semacgus, que, vu l’état du cadavre, il est difficile de savoir s’il avait sacrifié à Vénus. Le drap dans lequel il nous a été apporté ne porte aucun témoignage. Cela cependant n’est pas probant, la chose ayant pu se dérouler en dehors du lit.
Nicolas et Bourdeau procédèrent à une fouille plus approfondie des vêtements du comte sans que celle-ci fournisse de plus amples informations sur leur propriétaire.
— Que recherchez-vous avec tant d’acharnement ? demanda Semacgus étonné.
— Un exemplaire de son écriture qui nous permettrait de comparer celui-ci avec une note manuscrite que nous avons trouvée dans sa chambre.
— Une question, dit Bourdeau. Avez-vous l’un ou l’autre eu l’occasion auparavant de constater des blessures de ce type ?
Les deux praticiens réfléchirent un moment.
— J’ai connu, dit Sanson, un cas accidentel.
— Quant à moi, j’ai connu un cas similaire à Naples, où mon navire faisait escale. Une femme jalouse avait planté une broche dans cette partie-là de son époux infidèle.
— Toutefois, l’examen de ses affaires a montré qu’il usait de ces jaquettes préservatrices en peau de boyau. Reste que nous n’en avons découvert aucun vestige utile.
— Certaines traces sur le cou du comte, dit Semacgus, paraissent fraîches et pourraient laisser supposer le
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