L'enquête russe
contraire.
— Que voulez-vous dire, Guillaume ?
— Il subsiste les témoignages frais, enfin récents, de ce qu’on nomme communément suçons.
— Que vous estimez avoir pu être faits hier soir ?
— C’est possible sans être certain. N’excluez pas que celle qui pratiqua ces douceurs a pu faire disparaître, je dirais, pour en revenir à l’essentiel, l’étui du déduit…
— Voilà qui ne facilite pas la compréhension de ce qui s’est déroulé hier soir rue de Richelieu. Et sur l’heure du décès, vos lumières ont-elles une réponse ?
— Nous estimons du fait de la rigor mortis que le drame a dû se produire au large entre dix heures et minuit, avec décès immédiat.
La séance s’achevait. Nicolas donna les instructions nécessaires afin que le corps du comte soit mis en bière et qu’il soit présentable quand l’ambassade de Russie ne manquerait pas de se manifester. Il s’enquit auprès de Sanson des conditions de sa nouvelle installation et de la santé de son épouse. Enfin les deux policiers remontèrent en voiture pourgagner la boutique d’un maître mercier gantier et parfumeur réputé, chez lequel Nicolas avait bien souvent accompagné Aimée d’Arranet.
Les rues Saint-Denis et aux Ours les conduisirent, autant que le permettaient les embarras de la circulation, jusqu’à leur destination.
— On va bientôt fêter la Carole , observa Bourdeau en observant au coin d’un carrefour une petite statuette de la Vierge où brûlait une lampe à huile.
— Oui, le 3 juillet pour célébrer le miracle…
Nicolas se signa sous le regard goguenard de l’inspecteur.
— Et toi, tu crois encore à ces fadaises. Qu’un Suisse ivre ait donné un coup de sabre à ce bout de plâtre et qu’après cela du sang ait coulé ? C’est un spectacle pour un vain peuple qu’on tient esclave par ces mômeries. Et pour perpétuer la superstition, ne va-t-on pas promener une nouvelle fois un mannequin de paille habillé en Suisse et le brûler au milieu des obscénités et de la populace. Bel événement en vérité ! Et tout s’enchaîne. Qui croit encore qu’on puisse user au sacre du roi d’une ampoule descendue du ciel au bec d’une colombe ! Le beau volatile, en vérité ! Qui a jamais vu guéri un écrouelleux touché par les mains du monarque ?
Nicolas ne rétorqua rien à cette violente sortie d’un homme qu’il aimait et estimait, mais dont les propos outrés ne laissaient pas de blesser cruellement ses croyances et ses fidélités. La Cloche d’Argent offrait aux chalands son éclatante devanture, assemblage compliqué de bois sculptés en ronde bosse figurant des guirlandes, des fruits et des nœuds. Les vitrines de glaces serties dans de finescolonnettes laissaient entrevoir sur des étagères les plus séduisants produits de la boutique. Le bec de cane abaissé, de suaves émanations s’emparaient de l’odorat des visiteurs. Un homme d’une quarantaine d’années, qu’ailleurs sa tenue aurait pu faire prendre pour un vieux muguet, les accueillit. Il reconnut Nicolas.
— Ah ! L’honneur de vous revoir, monsieur le marquis. Mille grâces. C’est sans doute pour vous aujourd’hui ? Que puis-je vous proposer ? Quels sont vos désirs ?
Nicolas tenta de l’interrompre sans succès.
— Des pommades ? Nous en avons de toutes les sortes. À chacune sa senteur de fleur, rose, jonquille, jasmin, œillet, héliotrope, fleur d’oranger double… À moins que vous ne préfériez des spécialités, fruits de mes recherches en alambics et cornues. Pommades à la duchesse ou à la moelle de bœuf pour faire croître les cheveux, ou encore celle de limaçons en pain, excellente pour le visage car elle ne contient ni fard ni substance dangereuse pour la peau.
— Comme l’est la céruse ?
Le marchand, interloqué, fixa Nicolas.
— Monsieur le marquis sait le secret des fards ! Je m’incline bien bas devant son encyclopédisme. Préfère-t-il une eau de senteur, à la bergamote, à la lavande, ou du vulnéraire d’arquebusade, ou encore des pastilles parfumées pour tenir la bouche fraîche, ou un cordon riche pour montre ou des pastilles à brûler pour assainir délicieusement le logis ? Ou encore des poudres, ou des savonnettes de Naples, les plus délicates qui soient, aux senteurs de fleurs, ou marbrées et ambrées de toutes espèces…
Nicolas essayait d’arrêter le flot des propositions marchandes.
— Peut-être
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