L'enquête russe
moins.
— Comment cela ?
— Une partie… Enfin le quart. Pour le reste, des promesses.
— Et vous êtes femme à vous satisfaire de paroles ?
Elle ricana et ses petits yeux s’étrécirent encore.
— Point ! J’ai accepté un gage et consenti à un règlement à tempérament moyennant intérêt.
— Ce gage ?
— Un bijou.
— Veuillez nous le présenter, madame.
Elle hésita un instant, puis plongea la main dans son corsage pour y cueillir au creux de sa maigre poitrine une petite clé avec laquelle elle ouvrit un tiroir de son bureau. Bourdeau s’approcha et contempla, interdit, un amas de rouleaux de louis d’or et d’objets divers, des bijoux pour la plupart.
— Après la fripe, voilà l’usure !
Elle présenta à Nicolas une broche ornée de diamants et de rubis entourant le portrait d’une dame en habit de cour. Un E majuscule, surmonté d’une couronne, étincelait de tous ses brillants. Le commissaire, après l’avoir examinée, l’empocha à l’indignation de la tenancière.
— Vous m’assassinez ! Voleurs !
— Des insultes maintenant ?
Elle se calma.
— C’est l’émotion, monsieur… Je ne veux en aucun cas mettre en doute l’honnêteté et la conscience qui se peuvent lire sur votre visage et que confirme la hauteur de vos paroles…
— Il suffit, madame ! C’est insulter à l’équité de la police que de prétendre se rédimer de ses fautespar de basses flagorneries. Nous saisissons cet objet pour lequel nous vous donnerons reçu. S’il s’avère que rien ne s’y oppose, il vous sera rendu. Au fait, qu’auriez-vous fait si la dame n’avait pas consenti à vous abandonner ce gage précieux ? Vous ne répondez pas ?
Il désigna l’homme inconscient gisant à terre.
— Vous lui eussiez sans doute dépêché ce grand flandrin pour la menacer et lui apprendre à respecter sa parole ?
Elle ne répondit pas, l’air farouche.
— En l’occurrence, silence vaut aveu !
Bourdeau s’était éclipsé pour aller chercher le guet. Nicolas l’observait.
— Quel est votre nom ?
— Germaine Raveux, mais on m’appelle la Tison.
— Beau nom de guerre en vérité ! Que vais-je faire de vous ?
Il laissa se prolonger un menaçant silence. Ce fut elle qui finit par le rompre, incapable de supporter plus longtemps ce mutisme lourd de sous-entendus.
— Mais, monsieur, je me suis ouverte à vous en toute sincérité. Je peux encore vous être utile.
Son visage se plissa dans un mouvement méchant et astucieux.
— Songez que cette dame qui vous intéresse reparaîtra bientôt pour reprendre sa broche. Qui peut vous prévenir alors ? Hein ? Faut savoir ce qu’on veut.
— C’est une proposition à examiner. Cependant, puisque nous parlons de Russes, qu’avez-vous à dire sur ce jeune homme qui a beaucoup perdu et, sans barguigner, a réglé ses dettes ? Aurait-il eu un contact avec votre dame à la broche ?
— Oh ! Elle aurait bien voulu, je gage ! Elle le dévorait des yeux sans qu’il s’en aperçût.
— Ce fut ainsi ? Mais ils ne se parlèrent point ?
— À aucun moment. Mais le valet du jeune noble s’entretint longuement avec la dame et j’eus le sentiment qu’une intrigue se nouait.
— Tiens donc ! C’est certain que votre expérience…
— Vous pouvez m’en croire. J’ai dans ces affaires une longue pratique. Il m’arrive d’apparier de jeunes étrangers à quelques belles filles dans la nécessité.
— Vous feriez mieux de ne point vous en vanter. Connaissez-vous la Paulet ?
— Ah ! Qui ne connaît pas cette vieille vache ? Chacun s’interroge sur sa longévité dans la carrière. On raconte qu’à son âge elle est acoquinée depuis des lustres avec un de vos collègues, un commissaire qui pourrait être son fils. Un beau gars, dit-on, qui n’est pas ragoûté de faire la grenouille à l’envers avec cette truie. Il succède, à ce que je sais, à un garde-française qui avait embobiné la dame avant de partir avec sa caisse et l’une de ses filles ! Enfin, elle mène son train, protégée et soutenue par la pousse ! C’est une redoutable, une dévoreuse, une insatiable. Les filles, le jeu et maintenant la devinerie !
En collectionneur d’âmes, Nicolas écoutait sans illusion ce dégorgement d’horreurs, cet épanchement de haine, ce débordement d’immondices qui étaient chez les pires de ces femmes la marque d’infamie de leur industrie. Il
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