L'enquête russe
des voleurs de gens qui leur étaient inconnus. Il rappelait que saint Cyprien stigmatisait le jeu comme une invention du démon, source de crimes, d’infamies et de sacrilèges. Contre cette terrible tentation, il recommandait une extrême aversion et d’éviter à tout prix les jeux de hasard si on souhaitait mériter la grâce. Quant au marquis de Ranreuil, joueur modéré de société, il moquait avec une aimable ironie son vieil ami le chanoine, tout en mettant fréquemment en garde Nicolas contre lesconséquences d’une fureur si communément partagée.
La vue de l’hôtel de Noblecourt réjouit le cœur du commissaire. Son fils était sans doute arrivé et chacun s’apprêtait à célébrer son retour. Il éprouva soudain fortement le bonheur d’être père.
IV
ENVOLÉES
« Avec une machine que je construisis et que je m’imaginais être capable de m’élever autant que je voudrais… »
Cyrano de Bergerac
Louis tendit la main à son père mais, n’y tenant plus, se jeta dans ses bras. Il dépassait maintenant Nicolas d’une demi-tête. Une nouvelle fois celui-ci fut saisi de la ressemblance avec son père le marquis de Ranreuil et aussi de ce quelque chose d’adouci qui venait d’Antoinette. Après les premières effusions, les questions se bousculèrent sous les regards attendris de Marion, Catherine, Poitevin et Awa, venue donner la main à la bonne marche de la soirée. Au-delà du tumulte, retentirent soudain des coups de canne répétés qui marquaient l’impatience du maître de maison de participer à la joie générale. D’ailleurs Marion, la première à se remettre de l’émotion qui les avait tous emportés, frappa dans ses mains et de sa petite voix fluetterappela à Catherine et à Awa que les préparatifs du souper réclamaient leur attention. Nicolas, la main sur l’épaule de son fils, l’entraîna vers l’appartement du vieux procureur. À mi-chemin ils furent accueillis par la masse grondante et gémissante de Pluton qui mit ses pattes sur le bel uniforme du jeune officier et s’employa à lui lécher affectueusement le visage, tandis que Mouchette miaulait en frottant sa petite tête contre les jambes du commissaire.
— Ah ! s’écria une voix triomphante, bienvenue à l’enfant prodigue.
M. de Noblecourt en perruque régence, debout, la canne à pommeau d’agate à la main, habit feuille morte, bas blancs et souliers à boucles d’argent, les accueillit dans la bibliothèque où la table avait été dressée. Près de la croisée donnant sur la rue Montmartre, l’amiral d’Arranet, M. de La Borde et Semacgus devisaient, un verre à la main. Noblecourt appuya sa canne contre un secrétaire et ouvrit les bras pour étreindre Louis.
— Comment vous portez-vous, monsieur ?
Noblecourt prit la pose d’un père noble de comédie.
Par sa bonté, par sa substance,
L’Irancy de ma cave refait ma santé
Et je lui dois bien plus en cette circonstance
Qu’aux ânes de la Faculté !
Il jeta un regard vindicatif vers Semacgus qui feignait de ne point entendre la philippique, mais qui se tourna pourtant vers son vieil ami, savourant à l’avance ce qu’il allait répondre.
— Vous savez qu’étant chirurgien de marine, jen’ai pas l’honneur du compliment que vous me décochez. En revanche, je vous trouve bien affaibli. Peut-être un repos allongé et la diète, j’ajoute l’obscurité et, ce qui vous sera plus malaisé, le mutisme de la carpe vous profiteraient-ils ce soir ?
— Et pour quelle efficace raison, je vous prie ?
— Votre mémoire me paraît défaillante. Votre quatrain pèche par son liquide. Ce n’est pas de l’Irancy, c’est du lait d’ânesse. Et savez-vous de qui est ce morceau, plagiaire ? Du roi François, le premier !
— Cela nous promet une soirée des plus intéressantes ! dit La Borde.
— Au fait, reprit Semacgus, avez-vous résolu la dernière énigme de la Gazette de France ? Cela nous donnera idée de l’état de votre prétendue alacrité d’esprit.
— Il me provoque, l’insolent ! Vous en êtes tous témoins. Je relève le gant. Où se trouve la Gazette ?
Et avec une agilité qui surprit son monde, il gagna sa chambre pour en revenir le journal à la main.
— Je l’ai résolue à peine l’avais-je lue ! Écoutez :
Sans retard ni retour, je vais comme le temps.
Entraîné comme lui, j’entraîne aussi de même ;
Un abyme est le terme où, comme lui, je tends,
Et comme lui
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