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L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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d’égale que le haut goût.
    Semacgus fit office d’écuyer tranchant. Le couteau de service s’engageait dans une masse élastique qui laissait échapper des vapeurs parfumées avec des petits sifflements d’affaissement.
    — Cela se déguste sur un lit d’améliorée dont la verdure amère rafraîchit la symphonie des arômes.
    — Comme il parle bien quand il redevient humain ! ironisa le vieux procureur. Ce plat ne risque-t-il pas d’altérer ma santé ?
    — Pour sûr, mais pour ce soir je vous le tolère sans excès. Votre santé altérée ? Que ne la faites-vous boire ? Voici Poitevin et votre Irancy.
    L’éclat de rire fut général.
    — Pour être juste, je dois rendre à César ce qui lui appartient. J’ai emprunté ce calembour à M. de Bièvre, maître du genre. Et j’aimerais, étant chirurgien, vous en rapporter un autre. Ce même marquis, évoquait l’un de mes confrères, Daran, inventeur des bougies élastiques pour sonder la vessie. Une dame demande qui était M. Daran. C’est, répondit notre homme, un savant singulier qui prend nos vessies pour des lanternes !
    L’allégresse fut générale. Poitevin dut frapper le dos de l’amiral qui, pourpre, paraissait sur le point d’étouffer. Louis tressautait sur sa chaise, pris d’un inextinguible fou rire. Quant à l’hôte, il fut contraint de déboutonner son habit.
    — Le grand architecte en soit loué, remarqua Semacgus alors que le calme revenait, la joie règne ici alors que tant de gens s’homicident.
    — Que dites-vous là, s’étonna l’amiral.
    — Mais les suicides deviennent si fréquents que seuls désormais les cas extraordinaires sont relevés ! Un M. de Chailly, directeur à la Régie des domaines depuis plus de trente ans, s’est trouvé réduit, en raison d’une diminution d’appointements, à la simple qualité de vérificateur. Il s’est vu déshonoré alors qu’il n’était que victime du déficit. Il a voulu se brûler la cervelle, mais s’est seulement emporté une partie du visage. Il est aveugle, muet et dans un état pire que la mort.
    — Il y a près d’un mois, ajouta La Borde, l’abbé Pizana, éditeur de Métastase , a été trouvé mutilé et sanglant dans son lit. Tout cela pour une question d’honoraires non réglés.
    — Et, renchérit Noblecourt, le fils d’un mien ami, le notaire Duquesnoi, reçu en janvier dans la compagnie, est monté sur le toit de sa maison, place des Victoires, avec un pistolet. Il a manqué son coup et s’est servi d’un rasoir pour s’achever. Nul doute qu’à la fin il se serait précipité dans le vide ! Quel temps vivons-nous ? Pourquoi cette désespérance ?
    — Les vieilles coutumes ayant été abandonnées, on ne poursuit plus les suicidés jadis promenés ignominieusement sur des claies. Cela dissuadait d’y recourir. Et la morale ? Que dire d’un clergé moins indigne que l’on prétend, mais dont on ne retient que les exemples scandaleux, éloignant ainsi les fidèles des autels !
    — C’est, amiral, en partie conséquence d’une cause plus générale. Notre société, même si elle a atteint un niveau de progrès et de lumières inégalé, reste incertaine, instable, mouvante, hantée d’espoirs et de craintes. Aucune position n’est assurée. On murmure silencieusement que tout cela ne peut durer. Le peuple subit en silence bien des injustices et les réformes pour renflouer la vieille machine de l’État monarchique échouent les unes après les autres.
    — Allons, Semacgus, ne nous assombrissons point par ces perspectives, que je ne verrai pas. Je le déplore, car je suis curieux, et la curiosité c’est la vie ! Mes amis, nous pourrons enfin voler…
    — Comment ? dit l’amiral. Une société de bandits !
    Noblecourt frappa la table de joie et fit tinter les cristaux.
    — Non point ! Voler comme les oiseaux…
    — Oui, dit Louis. J’ai entendu parler d’un certain Blanchard qui a conçu une machine destinée à permettre à l’homme de s’élever dans les airs.
    — Il y a encore loin de la spéculation à la pratique, dit Nicolas. J’ai assisté à ses tentatives et, malgré la jeunesse de l’inventeur, ceux qui comme moi ont vu sa machine ont acquis au moins beaucoup de confiance dans la suite. Elle devrait fendre l’air comme un vaisseau et ramasser sous elle un volume de cet élément assez considérable pour la soutenir et l’élever.
    — Use-t-il de voiles ? demanda

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