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L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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rapporte même, dit Semacgus, qu’un souterrain a été creusé à partir des fondations du théâtre pour permettre au duc d’Orléans de passer aisément de son palais du Luxembourg à sa loge et qu’il ne peut l’emprunter vu son étroitesse et… sa propre grosseur !
    — Messieurs, dit La Borde, veuillez considérer la masse et non les détails. La splendeur et la grandeur qui émanent de l’ensemble !
    — Non, non ! La masse m’assomme et je ne suis pas un bœuf ! Je suis un vieux monsieur, je tiens à mon confort et ne souhaite pas fatiguer mes pauvres jambes en l’honneur des Grecs ! Les escaliers sont trop raides et sans repos…
    — Mais c’est pour ne pas occuper trop d’espace.
    — Au détriment du spectateur ? Et cela pour le prix des places ? Au parterre le prix est cinquante fois celui de l’ancien Opéra. Je reprends. Ces escaliers sont donc incommodes à gravir et encore davantage à descendre, certains passages sont ridiculement resserrés et la prodigieuse élévation de la double galerie rendra l’hiver le froid insupportable en dépit de toutes les précautions que l’on voudra bien prendre. Et que dire du lustre, du peu de lumière qu’il dispense et d’autres détails qui n’en sont pas, sur lesquels je préfère passer pour ne pas vous accabler, mon cher La Borde !
    — Il est extraordinaire que vous me replaciez le même discours, à quelques bouts près, que vous teniez naguère sur la nouvelle salle de l’Opéra ! Par les arguments, vous dépassez en mauvaise foi le Président de Saujac, et d’au moins cent coudées !
    Il y eut comme une grande excitation joyeuse tant les débats, avec leur véhémence et leurs colères feintes, ravissaient les convives, y compris l’amiral qui, au début, s’était inquiété de la chaleur des échanges, n’en mesurant pas l’exagération voulue.
    — Messieurs, dit l’amiral levant son verre, je voudrais porter une santé à notre hôte, qui nous régale et nous ravit. Ces poulets resteront un souvenir inoubliable, cette peau croustillante, cet accord si parfait entre le contenu et le contenant, qu’augmente encore le velouté parfumé de cette sauce ! Ah, merci, monsieur ! Et reconnaissance de la part d’un vieux marin plus accoutumé durant de longues années au lard rance et au pain moisi des cambuses, et aux sempiternelles antiennes des carrés.
    Il fut applaudi par l’assemblée.
    — Merci, amiral. Il y avait longtemps que je souhaitais avoir l’honneur de vous traiter. Voyez, ici les choses sont simples. Un groupe d’amis très chers. Tout va à la suite, la cuisine, le vin, la littérature, les spectacles, l’amour et l’art sont d’intarissables sources de joyeux propos ! Et pour achever en feu d’artifice, je vais vous livrer le fruit de mes cogitations pour les mots – vous ne n’avez pas gâté ! – qu’il fallait que je rimasse.
    La curiosité fut portée à son comble. Il sortit un petit papier.
    — Écoutez, messieurs :
    J’ai quatre-vingt-dix ans, j’arrive d’ÉPIDAURE ;
    Esculape a reçu mon premier EX VOTO.
    On aime ses vieux jours autant que son AURORE :
    Chacun sur mon voyage avait crié HARO !
    L’expérience soutient et le succès RESTAURE ;
    Me voici rajeuni et presque sans BOBO.
    Mon front était ridé, mon teint celui d’un MAURE,
    Quand je parlais, mes dents partaient EX ABRUPTO.
    Une seule restait servant de MEMENTO.
    Une acclamation générale salua la péroraison.
    — J’en veux une copie ! s’écria l’amiral.
    — Il s’est encore vieilli ! murmura Semacgus. Mais c’est pour le nombre de pieds….
    Heureux qui dans ses vers, sait d’une voix légère,
    Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
    Les adieux se prolongèrent dans la rue Montmartre où Louis et Nicolas avaient accompagné les invités jusques à leurs équipages. Il se faisait tard et Louis, soudain écrasé par la fatigue du voyage, salua son père. Ils remirent au lendemain le moment de se parler plus longuement. Nicolas rejoignit l’appartement de M. de Noblecourt, qu’il désirait saluer avant son coucher. Il le trouva devant ses livres. Il avait ôté sa perruque et son crâne nu luisait à la lueur des chandelles. Il semblait courbé, vieilli, et murmurait des mots sans suite.
    — Monsieur, dit Nicolas après avoir marqué sa présence d’une toux discrète, je souhaitais vous donner le bonsoir. Cette soirée a été une réussite qui marquera ses

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