L'enquête russe
l’étude attentive de ce groupe restreint qui pouvait aider à résoudre une partie du mystère. En dehors de Nikita, son truchement et guide obligé, plusieurs autres serviteurs se trouvaient de service l’après-midi en question à la résidence. Une femme de chambre, Olga Nicolaievna, un barbier, Ivan Pavlovitch, et Dimitri Petrovitch, arrivé depuis peu à Paris, qui servait de secrétaire au tsarévitch. Cela faisait peu et beaucoup à la fois. Nicolas interrogea Nikita sur les événements du matin.
— Monsieur, il y eut foule. Toutes sortes de gens se sont pressés pour présenter à Leurs Altesses des articles de Paris, tissus, bijoux, porcelaines, antiques, et j’en passe.
— La liste de ces gens avait-elle été dressée à l’avance ? demanda Nicolas.
— Non. Certains marchands avaient été convoqués par le prince Bariatinski, et les autres avertis par la rumeur publique de la présence des princes et de leur goût pour les objets précieux.
— Parmi ceux-ci, certains vous ont-ils paru différents des autres ?
Nikita hésita un moment cherchant d’évidence dans sa mémoire un fait qui aurait pu le frapper.
— Maintenant que vous évoquez cette possibilité, monsieur, cette éventualité, j’ai remarqué une marchande de rubans, dit-il.
— Et qu’avait-elle de si particulier ?
— C’est qu’elle était accompagnée par deux forts gaillards qui portaient deux petites boîtes de rubans. Rien n’aurait dû m’intriguer si ce n’est que la dame en question n’avait pas la figure de ce qu’elle prétendait être. Sa manière de parler peut-être. Et pourquoi ces deux hercules pour présenter de légers rouleaux de tissus ?…
Il hésita à nouveau.
— … et puis il y avait ce regard fureteur… Était-elle en quête de quelqu’un qu’elle aurait connu auparavant ?
— Quelqu’un de l’ambassade.
— Ce fut mon impression.
— Vous parlez parfaitement notre langue. En quelles occasions l’avez-vous apprise ?
— Monsieur, ma mère a été la nourrice de l’aîné d’une grande famille. J’étais son frère de lait. Or la plupart des jeunes Russes passent leur adolescence avec un précepteur étranger, français dans la plupart des cas. J’eus la chance de bénéficier de son éducation et reçus la même instruction. Ainsi les Russes de nos grandes familles marquent-ils dès leur enfance une prédilection marquée pour la France.
— Je vous en fais mon compliment. Mais revenons à cette marchande. Me la pouvez-vous décrire ?
— Pensez que j’étais occupé à bien d’autres chosesqu’à la dévisager. Pourtant j’ai souvenir d’une femme assez grande, d’un agréable embonpoint, et de ses hardes à la vérité bien pauvres pour sa figure. En un mot, son apparence ne correspondait pas à son état.
— À quelle heure a-t-elle quitté l’Hôtel de Lévi ?
— Je ne saurais le dire. Il y a eu beaucoup de désordre, d’allées et venues, de retours, de nombreux arrivants. Je l’ai déploré.
— Se peut-il, c’est une hypothèse, que l’un de ces marchands ait pu s’introduire à l’intérieur des appartements et gagner le boudoir de la grande-duchesse où se sont produits les événements que vous savez ?
— Il se trouve, monsieur, que Son Excellence a appris fort tard que les princes descendraient chez lui. Son principal souci fut l’aménagement intérieur en urgence des appartements réservés. Les autres occurrences ont été moins étudiées, en particulier, hélas, celles qui concernaient la sûreté et le contrôle des accès à l’hôtel.
— Et donc ?
— Pour répondre à votre question, je conclus que, malheureusement, n’importe qui, avec un peu d’audace, pouvait pénétrer dans ces appartements et prétendre, en cas de découverte, s’être égaré dans le dédale des enfilades. Oui, je crois cela dans l’ordre du possible.
— Qui a découvert le drame ?
— Le secrétaire du prince, Dimitri.
— Pour quelles raisons, alors que le prince était absent, se trouvait-il dans les appartements de la grande-duchesse ?
— Il n’y était pas. Il se dirigeait vers le cabinet de Son Altesse impériale pour y porter un courrierquand des cris et des bruits étranges l’ont ému. Il a hésité un moment, croyant à une querelle de domestiques si fréquentes dans les grandes maisons, puis un hurlement l’a de nouveau alerté ; il s’est alors précipité dans le boudoir de notre
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