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L'Entreprise des Indes

L'Entreprise des Indes

Titel: L'Entreprise des Indes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik Orsenna
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choisir ? Certains, plus
déterminés, s’en retournaient vers Sainte-Marie-Madeleine pour combattre l’hérésie
naissante. Des diacres de l’autre opinion les y attendaient. Des rixes
éclataient.
    C’est dans l’espoir d’apaiser les esprits en les distrayant
que l’autorité municipale décida d’organiser le combat.
     
    *
    *  *
     
    La place du Pilori est l’une des plus appréciées de la
population. Les autorités y attachent sur des roues les malfaiteurs qu’elles
ont réussi à attraper. De temps à autre, à coups de bâton, des bourreaux
viennent leur briser les membres. Les femmes s’évanouissent, les hommes
applaudissent, les enfants s’amusent à cracher sur les plaies des suppliciés :
c’est un lieu de hautes réjouissances.
    Ce jour-là, le spectacle proposé par le Pilori était d’une
nature différente. Les privilégiés se pressaient aux balcons, les autres s’entassaient
contre les façades, montant sur des caisses pour tenter de mieux voir. Des
palissades avaient été dressées, qui faisaient de la place une arène d’un ovale
presque parfait. Et en plein centre, au lieu des roues ensanglantées, se tenait
un colosse : un nez aussi long que la queue, des pattes semblables à
quatre arbres, des oreilles plus longues qu’un parasol, des couilles plus
grosses qu’une tête, des bouses plus hautes et larges qu’une taupinière. Bref,
un éléphant. Une vieille connaissance, depuis les récits effrayés des Romains
et les dessins et peintures qui en avaient été tirés. Comment les caravelles
parvenaient-elles, sans chavirer, à transporter de telles masses jusqu’ici ?
Une fois de plus, il fallait saluer l’habileté et le courage des marins.
    Bientôt, du côté opposé, se présenta son adversaire, le
rocher vivant.
    Deux cavaliers armés de longues lances lui piquaient l’arrière-train
pour tenter d’augmenter son allure par trop paresseuse. Ils n’y parvenaient
pas. Les lances ricochaient.
    Après avoir hurlé de stupeur et d’effroi, la foule s’impatienta.
    Car, au lieu du spectacle sanglant promis, rien ne se
passait.
    Les deux bêtes tardaient à s’animer.
    De plus en plus nombreux, des projectiles, pierres, bouts de
bois, mais aussi chapeaux, chaussures, quelques poignards, volèrent bientôt en
direction de ces combattants si scandaleusement pacifiques. Le rhinocéros se tenait
toujours immobile face à l’éléphant, lequel ne lui prêtait pas la moindre
attention, occupé qu’il était à promener nonchalamment sa trompe sur ces
projectiles qui jonchaient maintenant les pavés de la place. Ne trouvant rien à
son goût, il agitait ses gigantesques oreilles.
    Soudain, le rocher cornu, furieux de ce dédain, leva la
patte avant droite, en frappa deux fois le sol et, sous les acclamations,
chargea.
    Tout géant qu’il était, l’éléphant prit peur. Un instant, il
se figea. Il émit un cri rauque. Ses oreilles battirent comme des mains qui
applaudissent. Et juste avant que la corne de la pierre vivante ne lui
pourfende le poitrail, il pivota sur ses pattes de derrière et, stupéfiant d’agilité,
s’enfuit.
    Il défonça une balustrade, écrasa une bonne dizaine de
spectateurs, sous les huées s’engouffra dans la rue des Orfèvres et disparut.
Le plus étonnant, c’est qu’on ne retrouva jamais sa trace. À l’exception de
deux défenses fraîchement coupées.
    Elles parurent, dès le lendemain, offertes place Terreiro do
Paço, sur un étal reculé. Elles ne restèrent pas longtemps, perdues parmi
salades et rutabagas. Neuf heures sonnaient à l’église Saint-Julien que, déjà,
un envoyé du bijoutier Lazaro les emportait. Une question, une seule, lui avait
suffi pour obtenir du marchand un prix ridicule :
    — Quelle merveille ! Mais d’où la tenez-vous, mon
brave ?
     
    Quant au rocher, vainqueur du combat, il fut, sous les
vivats, reconduit à sa cage. Cette gloire lui coûta cher. Un matin, on le
retrouva sans corne. Quelqu’un la lui avait sciée dans la nuit. Sans doute le
scieur n’avait-il pas oublié les gloussements du public féminin lorsqu’était
apparue cette glorieuse excroissance. Une poudre fut discrètement proposée aux
hommes les plus riches – et par suite les plus âgés – de la ville. À
l’évidence, le vendeur la garantissait issue de la fameuse corne et possédant
les mêmes pouvoirs de rendre rigides les extrémités les plus flaccides. On dit
qu’une jeune femme, peu après, s’étonna des

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