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L'Entreprise des Indes

L'Entreprise des Indes

Titel: L'Entreprise des Indes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik Orsenna
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détaillé. Faute de ce
soin, l’acheteur n’avait pas confiance. On comprend son exigence : il y
allait de son entrée au Paradis !
    Toute méthode permettant de reproduire ces billets était
donc bienvenue. Que cette invention d’imprimerie permette de multiplier les
certificats, par suite accroisse les ressources de notre mère l’Église et
conséquemment lui permette de lever des armées et des flottes pour résister
plus efficacement au Turc, à la bonne heure !
    Mais attendre de cet habile maniement du plomb des chefs-d’œuvre
comparables à ceux qui sortaient des doigts de nos enlumineurs, je demandais à
voir et ne m’attendais à rien de merveilleux.
     
    Je ne tiendrai pas chronique de ce voyage. J’ai trop à
raconter pour le temps qui me reste. Sachez seulement que je pris goût à
traverser ces paysages. Mon regret de la grande présence mouvante de la mer s’apaisait
au spectacle des plaines Comment ne pas y voir de longues vagues immobiles, la
décision de Dieu d’arrêter, pour cette partie de Sa Création, tout remuement de
l’horizon ?
    Enfin parut une longue flèche en pierre rouge, les
colporteurs qui partageaient ma route m’informèrent qu’il s’agissait de la
cathédrale.
    Au fond, j’avais atteint une autre sorte de port, un lieu d’où
ne partaient pas des bateaux, mais des livres. Et, à bien y réfléchir, les bateaux
et les livres se ressemblent en ceci qu’ils servent les Découvertes. Je priai
un abbé qui passait de m’indiquer le quartier des imprimeurs.
    Rue aux Ours, les ateliers se touchaient et on semblait y
travailler nuit et jour : la nouvelle industrie ne manquait pas d’ouvrage.
    Je poussai la première porte. On me reçut aimablement. J’avais
pris soin, à l’auberge, de redonner à mon visage meilleure apparence. Ma
jeunesse et mon accent étranger devaient ajouter à la bonne impression que je
faisais. Je me présentai comme Portugais, envoyé du Comité royal des
Mathématiciens.
    — Le livre Ymago mundi , écrit par l’évêque d’Ailly,
se trouve-t-il, par chance, parmi ceux que vous imprimez ?
    On me dit avoir entendu parler de ce livre comme d’une somme
de savoirs inégalée, mais sans jamais l’avoir vu.
    Comme pour se faire pardonner, on tint à me monter les
dernières réalisations de l’atelier. Et je dus rempocher le dédain avec lequel
j’étais venu : certaines des œuvres imprimées valaient nos productions
enluminées.
    À peine avais-je évoqué la bible magnifique que possédait
mon Roi portugais que je faillis être noyé. Les deux employés du magasin s’étaient
précipités vers les rayonnages. Ils en revinrent les bras chargés :
    — Que dites-vous de celle-ci ?
    — Non, je crois que le jeune monsieur préférera celle-là !
    Ils se bousculaient pour mieux me montrer, ils s’invectivaient.
    Certaines bibles étaient simples, tristes, lettres noires un
peu baveuses sur mauvais papier gris. D’autres, de vrais chefs-d’œuvre,
illuminées par trois couleurs, mises en page, comme des frontons d’églises…
    Comment échapper aux bibles ?
    De même que, dans le Livre sacré, les histoires engendrent
les histoires, toujours de nouvelles histoires, de même les bibles semblaient
enfanter d’autres bibles, encore et encore des bibles. Peut-être un jour, sans
fin multipliées par ces machines magiques de l’imprimerie, les bibles
envahiraient-elles la Terre et y étoufferaient les humains ? Je me gardai
bien d’exprimer ces fort iconoclastes songeries.
    Avec prudence, et non sans avoir protesté de ma déférence
envers les textes sacrés, bénis soient-ils, je demandai s’ils avaient d’autres
publications disponibles.
    — Dans quel domaine ? Notre catalogue s’étend tous
les mois.
    Je balbutiai le mot Science.
    Les deux jeunes grimacèrent, manifestement déçus : ils
avaient cru mes préoccupations plus élevées. Ils allèrent fouiller dans l’arrière-boutique
et m’apportèrent à bout de bras, comme si elles puaient, des publications qu’ils
jugeaient mieux convenir à mes intérêts. Il faut dire qu’elles concernaient
notre machinerie corporelle.
    Je me souviens de deux calendriers : l’un qui précisait
le rythme le plus approprié pour les saignées, et l’autre qui, en s’appuyant
sur de longues considérations sur la marche des astres, offrait la même sorte
de conseils pour les purges. Les titres allemands sont encore dans ma mémoire : Aderlasskalender et

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