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L'Entreprise des Indes

L'Entreprise des Indes

Titel: L'Entreprise des Indes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik Orsenna
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escorte.
    C’est sur le seuil de sa maison, à la manière dont on reçoit
les hôtes illustres, que le bibliothécaire tend les deux mains. Le poussiéreux
danse une gigue soudaine, comme si une puce l’avait piqué. Il veut simplement
atteindre dans une poche une chose – quelle chose ? –
emmaillotée de charpie qu’il parvient, sous les applaudissements, à extirper
des profondeurs, puis dépose dans les paumes vers lui présentées. Tandis que de
bonnes âmes entraînent le poussiéreux vers sa récompense, de la bière jusqu’à
plus soif, nous regagnons le calme de la bibliothèque. La plus longue table est
choisie pour recevoir la chose emmaillotée.
    On approche deux chandeliers. On entreprend lentement d’ouvrir
le paquet. Une couverture paraît. Je me penche : Roger Bacon, Summa de
sophismatibus et distinctionibus.
    — C’est bien lui, murmure le bibliothécaire, lui que
nous attendons depuis si longtemps. Merci, mon Dieu, d’avoir jugé bon de le
faire parvenir intact en notre université !
    — Amen, répondent mes voisins.
    Un convers apporte une écuelle. Chacun s’y lave les mains
avant d’avoir le droit de caresser l’ouvrage.
    Puis le bibliothécaire s’en saisit, le lève, et, montrant
les rayonnages où s’alignent les livres les plus précieux :
    — Bienvenue parmi les vôtres !
    Jusqu’alors je m’étais tenu coi, comme à une cérémonie religieuse,
fasciné par ce rituel et la ferveur qui s’en dégageait. Une question me brûlait
les lèvres. Je ne résistai pas plus longtemps :
    — Vous accueillez ainsi tous les livres ?
    — Bien sûr, quand ils viennent d’aussi loin et sont
porteurs d’autant de connaissances.
    Je m’en retournai, pensif, à mon auberge.
    Si Louvain était un port au milieu des terres, ses bateaux
étaient bien les livres, des bateaux aux équipages invisibles dont seul
apparaissait le capitaine, l’auteur. Mais eux aussi rapportaient des trésors,
qu’ils n’entreposaient pas dans les cales mais au fil des pages.
    Deux différences : ces bateaux-là, les bateaux de la
terre ferme, ne faisaient qu’un voyage. Et, une fois livrés leurs secrets, au
lieu d’encombrer les quais, ils se reposaient sagement sur des étagères à la manière
des pigeons assoupis sur leurs perchoirs.
     
    *
    *  *
     
    Au contact de ces fiévreux du savoir, tout aussi fiévreux
que mon frère, une interrogation me vint : le principal, pour un esprit
humain, n’était-il pas d’être possédé par ce genre de fièvre, et qu’importe la
raison de la fièvre ?
    Autre question, plus dangereuse encore que la précédente
pour le lien fraternel entre Christophe et moi : pourquoi pas ?
     
    *
    *  *
     
    Pourquoi pas la médecine ?
    Un joyeux trio d’étudiants carabins, compagnons de beuverie,
m’y pressait. Bière après bière, je m’imaginais plongeant dans les secrets du
corps, spectateur ébloui de femmes nécessairement dévêtues, puisqu’il fallait
bien les soigner. Puis, la bière aidant, voici que je devenais, sous les applaudissements
de mes amis, le chevalier choisi par Dieu pour faire reculer les limites du
trépas.
    Par deux fois, le trio m’entraîna chez le croque-mort où ces
jeunes gens avaient, semble-t-il, leurs habitudes.
    En échange d’une pièce, le brave homme nous offrit des
cadavres. Grâce à eux, j’ai appris comment on coupe un ventre, comment on scie
des côtes pour se saisir du cœur, comment, pour tenter d’approcher le mystère
de la virilité, on incise une verge. Nous avions apporté des bières, toujours
des bières. Toute la nuit nous trinquâmes pour saluer notre habileté de futurs
chirurgiens. Quels plus doux moments, ensuite, que vomir entre amis ? Et
tant pis pour le cadavre ouvert si personne n’était plus en mesure de le
refermer.
     
    *
    *  *
     
    Pourquoi pas la botanique ?
    C’était un lendemain de beuverie. En me promenant à petits,
tout petits pas dans la campagne, je tentais de recouvrer un équilibre après
les désordres de la veille. Un jeune homme pâle et long avançait, cassé en
deux, le long des champs.
    Je lui demandai s’il voulait de l’aide et quelle était la
nature, congénitale ou accidentelle, de sa terrible maladie.
    Par miracle il se redressa et brandit un panier d’où
émergeaient des tiges et des feuilles.
    — J’herborise.
    — Vous paraissez bien calme sur cette planète où chacun
s’agite.
    — C’est le spectacle et, mieux encore, la compagnie

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