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L'Entreprise des Indes

L'Entreprise des Indes

Titel: L'Entreprise des Indes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik Orsenna
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convoqua celui que ses conseillers lui avaient
indiqué comme le plus capable : al-Khwarizmi. Comme son nom l’indique, il
venait du Khwarizm, une région d’Asie centrale, au sud de la mer d’Aral. Le
calife lui donna pour mission de “rendre plus clair ce qui était obscur et de
faciliter ce qui était difficile”. Al-Khwarizmi s’inclina, remercia pour cet
honneur, partit s’enfermer dans la cellule qu’on lui avait attribuée au cœur de
la Maison de la Sagesse. Il ne la quitta pas de deux ans et personne n’eut le
droit de l’y déranger. Ses repas lui étaient déposés sur le rebord d’une
fenêtre.
    « Enfin il sortit, les yeux éblouis par la lumière du
soleil après tant de jours passés enfermé. Il tenait à la main des feuillets qu’il
s’empressa d’aller présenter à celui qui attendait avec une patience
inhabituelle chez les puissants.
    — Tu en as mis du temps, dit le calife. J’espère pour
toi que tu ne vas pas me décevoir.
    — Mon livre, répondit al-Khwarizmi, est un abrégé
englobant les plus fines et les plus nobles opérations du calcul dont les
hommes ont besoin pour leurs héritages et leurs donations, pour leurs partages
et leurs jugements, pour leurs commerces et pour toutes les transactions qu’ils
ont entre eux, comme l’arpentage des terres, le creusement des canaux, ainsi
que d’autres aspects et d’autres techniques. »
     
    L’ex-marin se tut, le temps que la famille Colomb, son
auditoire, revienne de Bagdad et de ce siècle lointain.
    — C’est le résumé de cet ouvrage que je me propose d’enseigner
à vos enfants.
    Mon père saisit les deux bras de notre mère :
    — Tu imagines ? Voilà le savoir qui m’a toujours
manqué ! Notre famille va enfin occuper la place qu’elle mérite !
    Et c’est ainsi que notre mère donna son accord non sans
avoir apaisé une dernière angoisse. Ce calcul, invention des Musulmans, n’allait-il
pas contaminer sa progéniture et les entraîner soit vers la folie, soit vers l’excommunication ?
Elle alla trouver son confesseur, qui la rassura : tous les marchands de
quelque importance utilisaient depuis longtemps ces méthodes et s’en trouvaient
fort aise, pour la plus grande gloire du vrai Dieu.
     
    Je me souviens de la première leçon. Notre maître ne nous a
parlé que du mot algèbre.
    — Est-ce que vous voulez devenir forts, les enfants ?
    — Bien sûr, maître !
    — Est-ce que vous voulez imposer votre volonté aux
autres ?
    — Oui, oui, qu’ils soient nos esclaves !
    — Est-ce que vous voulez savoir guérir les fractures ?
    — Ça peut toujours servir, maître !
    — Est-ce que vous voulez connaître la loi du temps ?
    — On ne comprend pas ce que ça veut dire, maître, mais
pourquoi pas ?
    — Eh bien, le mot arabe Jabr, d’où vient algèbre, est tout cela : la force, la contrainte, la réduction (des
fractures) et l’ordre des événements.
     
    Je me souviens de la manière dont al-Khwarizmi posait les
problèmes. Il s’agissait toujours de vie quotidienne. Et on aurait toujours dit
des devinettes. Certaines me sont restées, je ne sais pourquoi, ancrées dans la
mémoire :
    «  Si on dit : une fortune. Tu en sépares son
tiers plus trois dirhams. Et tu multiplies ce qui reste par lui-même. Alors
revient la fortune.  »
    Ou :
    «  Si on dit : une terre triangulaire. Ses deux
côtés ont dix coudées et la base douze coudées. Dans son ventre il y a une terre
carrée. Quel est le côté du carré ?  »
     
    Lorsqu’il sentait notre attention faiblir, notre maître la
relançait par une histoire de Bagdad.
    « Un jour, le calife al-Wathiq convoqua les astrologues
de la Maison de la Sagesse :
    — Combien de temps me reste-t-il à vivre ?
    « Les astrologues calculèrent, recalculèrent et
tombèrent d’accord sur cinquante ans.
    « Le calife les remercia par des chevaux, des pierres
précieuses et divers autres cadeaux de prix. Et mourut dix jours plus tard. »
    — Et maintenant, les enfants, revenons au travail : Un homme meurt. Il laisse quatre fils. Il fait à un voisin une donation
égale à la part de l’un de ses fils et à un autre le quart de ce qui reste du
tiers…
     
    Régulièrement, notre père s’inquiétait : avions-nous
vraiment amélioré nos relations avec les nombres ? Il continuait de les
considérer comme une tribu puissante dont il n’était pas loin de croire qu’elle
dominait Gênes. Avec l’appui de cette

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