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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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jusque derrière lui, s’y assit et continua de regarder son frère. Tous deux demeurèrent silencieux, comme si le silence contenait les meilleurs mots pour exprimer les dix-huit dernières années, qui avaient failli se terminer par une tragédie.

31
    Jerzy était assis à la table de la cuisine, un cahier de comptabilité ouvert devant lui, un crayon à la main, une gomme à effacer dans l’autre. Anna énumérait la liste et les montants des factures qu’elle sortait d’un sac de papier brun. Jerzy, dès qu’il terminait une addition, réussissait parfois à sourire, ce qui encourageait Anna. À la suggestion de Stanislas – il avait tenu à le préciser –, Jan les avait incités à fabriquer des conserves, cornichons à l’aneth d’après une recette polonaise, tomates étuvées et ketchup. Jerzy avait hésité, sachant qu’en réduisant la variété de ses cultures il se rendait plus vulnérable aux intempéries. Le projet l’inquiétait aussi pour Anna, qui voudrait être partout à la fois, dans les champs et autour des chaudrons.
    «Tu ne t’es jamais mis le nez dans mes casseroles, si ce n’est pour me dire que ça sentait bon ou me demander si c’était volontairement que je brûlais mon repas. Ce n’est pas à quarante-six ans qu’on devient un grand marmiton, Jerzy. Alors, organisons-nous pour doubler la surface de ma cuisine, installons quatre cuisinières et tu vas voir que je vais faire des merveilles.»
    Les semis ayant été retardés autant par les caprices du climat que par son séjour à Montréal, Jerzy avait le temps d’acheter ce dont il avait besoin. Le directeur de la banque, connaissant mieux que quiconqueson infortune, n’avait pas hésité à lui octroyer un prêt supplémentaire devant la frugalité de ses exigences, confiant que tous ses produits seraient écoulés dans des dizaines d’épiceries montréalaises. Anna était tellement excitée à l’idée qu’ils pouvaient peut-être réussir à rembourser la banque en trois ans plutôt qu’en cinq qu’elle languissait de voir apparaître les premiers concombres pour les cornichons, les tomates, les oignons et les poivrons.
    Nicolas observait son oncle discrètement, se demandant si c’était parce qu’il était un Polonais, un orgueilleux ou un Pawulski qu’il n’avait montré aucun signe de colère, de rancœur ou d’impatience. Sophie lui répétait que Casimir lui avait sans doute appris une leçon et que, depuis son sinistre départ, elle trouvait que son père avait beaucoup changé.
    – Je pense que ton père y est pour quelque chose aussi.
    Nicolas avait haussé les épaules, niant quelque courage que ce soit à son père, qu’il avait trouvé idiot de s’être fait enfermer à clef avec un fou. Sophie essayait de défendre son oncle, mais Nicolas devenait rapidement sourd quand quelqu’un osait un bon mot, surtout si cette personne était Stanislas. Jamais il ne reconnaîtrait, même devant Sophie, qu’il était furieux contre son père de l’avoir fait mourir de peur. Jamais il n’avouerait non plus qu’il avait souvent et secrètement arpenté le couloir de l’hôpital alors qu’il était censé être au collège, terrifié à l’idée de voir mourir son père sans jamais lui avoir parlé de son rêve, qui avait pris la forme du projet imminent de quitter l’école. Il n’avait nullement l’intention de poursuivre ses études collégiales, encore moins de faire des études universitaires, préférant partir à la découverte du monde. Il était le seulà savoir que son séjour au Manitoba était sa première halte et qu’il allait continuer son périple. Il avait décidé de son départ en moins de cinq minutes, d’abord heureux d’aller aider son oncle, qui comprendrait certainement mieux que son père son besoin de voir le monde. Depuis qu’il était tout petit, il avait tracé ses itinéraires avec son train et son globe terrestre, et il y avait peu d’endroits de la planète qu’il ne pouvait nommer ou même dessiner de mémoire. Son père, il le savait, était déjà entré dans sa chambre et avait aperçu le train, qu’il croyait rangé depuis longtemps. Il avait feint de dormir, mais s’était juré que plus personne ne verrait sa locomotive. C’était son rêve à lui et il refusait de le partager, rejetant ainsi les principes de son père, qui l’avait toujours forcé à prêter et à donner.
    Le soleil de juillet s’était levé, dardant aussitôt ses rayons sur

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