Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
Vom Netzwerk:
la terre qui n’en pouvait plus de ces assauts répétés. Jerzy regarda le thermomètre, qui, à neuf heures, marquait déjà plus de quatre-vingt-cinq degrés Fahrenheit. Il se félicita d’avoir depuis longtemps installé des gicleurs, et il ne trouvait rien de plus agréable que de les voir arroser ses champs au coucher du soleil. Les concombres étaient déjà assez gros pour être marinés à l’aneth, et Nicolas et Stanislas avaient fabriqué un crible à grands coups de marteau, de tournevis, de scie à découper et d’égoïne, ahanant sous la chaleur. Anna avait regardé les concombres sautiller d’un trou à l’autre, les retrouvant tous triés par grosseur.
    – C’est merveilleux!
    Ils étrennèrent donc le crible à la chaleur étouffante, en entendant le son depuis midi jusqu’au coucher du soleil.Sophie, qui ne ratait jamais une occasion, chanta au rythme du crible, imitée parfois par Stanislas et Nicolas, sous le regard amusé d’Anna et presque tolérant de Jerzy.
    –
La cucaracha, la cucaracha, ya no puede caminar

    – Tu peux bien chanter… J’ai l’impression que les Mexicains sont plus intelligents que nous. Quand le soleil leur tape dessus, ils se cachent sous leur sombrero et ils dorment. Nous, on sue comme des imbéciles, on arrache des concombres et on les regarde sauter dans un crible comme si c’était un spectacle.
    Nicolas s’était tu, alarmé à l’idée qu’il puisse dévoiler son projet de visiter le Mexique. Il voulait tout voir: le Mexique et l’Amérique du Sud, la Guadeloupe et la Martinique, mais d’abord ces pays si éloignés qu’étaient la Pologne, la Russie, l’Iran, l’Irak, la Palestine, l’Italie et l’Angleterre. Il voulait parcourir le monde dans les pas de son oncle, qui n’avait pas eu peur, à peine plus âgé qu’il ne l’était lui-même, de partir à la défense de son pays. Il reporta son attention sur le crible, dont le tapage mettait ses pensées en veilleuse.
    Le soleil se vautrait doucement près des têtes de maïs quand ils rentrèrent, les reins brisés par la récolte, les oreilles rendues sourdes par le cogne-cogne du crible, le ventre troué par la chaleur qui y collait sans en apaiser la faim. Nicolas regarda son oncle et, voyant qu’il était de belle humeur, lui sourit en se promettant de lui révéler, à lui et à lui seul, son envie de voir le soleil se coucher en d’autres couleurs. Sophie alla s’affaler sur le canapé du salon pendant que Jerzy se passait la tête et les bras sous le robinet, qu’Anna sortait des salades et des tranches de jambon du réfrigérateur et que Stanislas mettait le couvert; taquinant sa sœur au sujet de sa piètre forme physique.
    – Pauvre Sophie! Comment penses-tu faire de longs spectacles quand tu es incapable de récolter des concombres pendant plus de huit heures?
    Sophie lui lança un coussin, qui accrocha Jerzy au passage. Nicolas éclata de rire devant le regard ahuri de ses cousins qui s’apprêtaient à essuyer une réprimande. Même Anna avait gardé un plat dans ses mains, hésitant à le poser sur la table. Jerzy mit quelques secondes à s’essuyer, puis, sans crier gare, attrapa son neveu par le bras, lui enroula la serviette autour du cou et lui promit que la prochaine fois il le pendrait haut et court. Nicolas, stimulé par la fatigue, rit encore plus fort à travers un gargouillement d’étouffement et demanda combien haut et combien court il allait être pendu. Jerzy, renfrogné et grincheux, répondit qu’il allait le pendre court comme le seul poil de barbe qu’il avait au-dessus de la lèvre et haut comme le clocher de la cathédrale de Saint-Boniface.
    – Trop tard, papa. La cathédrale a été complètement brûlée aujourd’hui.
    Jerzy cessa son jeu et Nicolas étouffa son rire. Stanislas se planta devant le téléviseur et vit les images de la cathédrale rongée par les flammes qui, ironie diabolique, éclairaient de l’intérieur la rosace de la façade. Puis il vit s’écrouler la toiture dans la nef, telle une vague s’abattant sur une coquille à la dérive. La dernière fois qu’il avait mis les pieds dans cette cathédrale, c’était le jour de Pâques et Casimir était à leurs côtés. Il se dit que cet homme était peut-être un des fils du diable, qui aurait profité de ce jour de canicule pour se rappeler à eux en se riant de leur existence.

32
    Jan rentra à la maison, soucieux. Depuis son hospitalisation, il avait

Weitere Kostenlose Bücher