L'envol des tourterelles
l’autre, certes, mais surtout pour entretenir l’espoir de revoir leur fils, espoir qui faiblissait de jour en jour. Chacun de leur côté, ils battaient leur coulpe, se tenant responsables et se demandant où ils l’avaient perdu, cherchant à retrouver le moment où leur fils avaient cessé de les aimer. Jamais ils n’avaient osé évoquer la possibilité qu’il fût mort.
Jan avala son petit déjeuner devant Michelle, qui portait toujours son peignoir de chenille délavé et maintenant troué. Elle décida de passer sous la douche la première, puisqu’elle devait faire la tournée pour collecter les loyers retardataires. Il l’entendit ouvrir les robinets et en profita pour déplier son journal, ce qu’il n’osait jamais faire devant elle. Le téléphone sonnaet il s’inquiéta aussitôt en regardant l’heure. Il n’était pas encore sept heures et seule une mauvaise nouvelle pouvait être assez effrontée pour arriver si tôt.
– C’est moi, papa.
Il tira une chaise pour s’y laisser choir et passa sa main sur sa nuque, qui venait de s’ankyloser sous l’effet du choc.
– Papa?
– J’écoute.
La voix de son fils était si faible qu’il avait peine à la reconnaître. Il n’osa lui demander de parler plus fort, craignant que Nicolas ne lui réponde qu’il en était incapable.
– Papa, il faut que tu viennes. J’ai besoin de toi. Si tu ne viens pas, je ne tiendrai pas le coup. Peux-tu être ici demain ou après-demain? À trois heures de l’après-midi.
Jan se leva, les mains si moites et si tremblotantes qu’il faillit en échapper le combiné.
– Je veux bien, Nicolas, mais où es-tu?
– Je suis à Paris.
Jan secoua la tête d’étonnement et de découragement. Il n’avait ni passeport ni visa et il ne connaissait personne qui pût lui en procurer rapidement. Puis il entendit Michelle fermer les robinets. Il parla donc rapidement et promit d’être là le lendemain ou le surlendemain.
– Je pourrai t’attendre trois jours au maximum.
Nicolas lui donna une adresse que Jan mémorisa rapidement, puis il lui cria qu’il devait raccrocher.
– As-tu bien tout noté? Il faut que je raccroche, parce que...
La communication venait d’être coupée et Jan essaya de cacher qu’une peur effrayante venait de glacer lasueur qui lui coulait entre les omoplates. La tête enturbannée d’une serviette, Michelle lui demanda à qui il parlait. Il lui fit un sourire qu’il savait mensonger et lui parla de ces imbéciles qui choisissaient une drôle d’heure pour composer un mauvais numéro. Elle cessa de se frotter les cheveux et lui demanda ce qu’il lui cachait.
– Je ne cache rien.
Il se précipita dans la chambre pour s’habiller, lui demandant d’annuler la réunion qu’il avait convoquée avec tous les franchisés.
– Mais qu’est-ce qui se passe?
Elle le poursuivit jusque dans ses derniers retranchements, le harcelant de questions aiguës, criardes, inquiètes, hystériques. Il prit une valise dans laquelle il lança tout ce dont il pourrait avoir besoin si jamais il devait partir pour plus d’un jour.
– Jan! Dis quelque chose ou j’appelle Élisabeth.
– Surtout pas. Nicolas vient de téléphoner.
– Ah! mon Dieu! Il est vivant!
– Il me demande d’aller le rejoindre. Il doit avoir besoin d’argent.
– Passe au bureau de poste et télégraphies-en tout de suite.
– Ce n’est pas aussi simple.
Il était prêt à partir et ne savait comment la rassurer, frôlant lui-même l’hystérie tant il était inquiet de ce qu’il avait entendu.
– Promets-moi, Michelle, promets-moi de n’en parler à personne, d’accord? Je vais te téléphoner dès que j’aurai des nouvelles.
Il l’embrassa en lui disant qu’ils étaient peut-être au bout de leurs peines, courut à son bureau chercher sespapiers et saisit au passage la lettre que Nicolas leur avait écrite. Il partit dans un crissement de pneus.
Il mit plus de trois heures pour se rendre à Ottawa et trouver le ministère des Affaires extérieures. On voulut le faire patienter, mais il refusa le plus gentiment du monde, demandant à parler au ministre ou au sous-ministre, tout en s’excusant de n’avoir pu communiquer avec eux par l’entremise de son député. Il s’efforçait d’être doucereux, presque mielleux, pour ne pas laisser transpirer l’urgence, conscient que les fonctionnaires ne savaient jamais quoi faire avec les urgences. Il fut enfin dirigé vers un agent qui avait
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