L'envol des tourterelles
préférant à l’ascenseur qui, tout à l’heure, avait mis cinq bonnes minutes à arriver.
M. Langevin ne se fit pas attendre et il écouta poliment son histoire en prenant quelques notes, puis il lui demanda avec une réelle inquiétude ce qu’il craignait le plus. Jan fut surpris, mais répondit qu’il n’avait pas dormi une seule nuit complète depuis la disparition de son fils, appréhendant un coup de fil qui lui annoncerait qu’on avait retrouvé son corps. Maintenant qu’il le savait vivant, il redoutait que son fils fût malade ou en prison. Il avait même peur qu’il eût été enlevé et qu’on lui demandât une rançon.
– Mais ce serait la moins terrible des trois hypothèses.
M. Langevin le regarda longuement, puis ouvrit un tiroir pour en sortir deux formulaires, qu’il lui fit remplir. Jan tremblait tellement qu’il écrivit d’une main instable, confondant les lignes où il devait inscrire les réponses. M. Langevin sortit un autre formulaire, détruisit celui sur lequel Jan s’échinait et le remplit lui-même en lui posant les questions. Il en remplit un autre pour Nicolas.
– Voici des laissez-passer exceptionnels. Vous pourrez sortir du Canada pour aller en France, uniquement enFrance, et en revenir avec votre fils. Ces papiers sont valables pour sept jours et seront caducs dès que vous serez de retour sur le sol canadien. Attendez-moi ici.
M. Langevin disparut, pour ne revenir qu’une heure plus tard. Jan était tout près de s’effondrer, tant à cause de sa colère contre les ronds-de-cuir que de sa peur de ne pouvoir partir.
– Pardonnez-moi, monsieur Aucoin. J’ai simplement voulu vous faciliter la tâche.
Il lui tendit deux autres formulaires dûment remplis. Jan les lut et comprit que M. Langevin lui remettait ses visas temporaires. Il le regarda avec reconnaissance, se leva et lui embrassa la main, ce qui surprit tant le fonctionnaire qu’il la retira en émettant un ricanement de gêne.
– Un merci polonais, monsieur.
En descendant de l’ascenseur, il croisa son premier agent, qui rentrait du lunch. Celui-ci lui demanda s’il avait obtenu satisfaction. Il répondit par l’affirmative et il entendit l’agent se vanter de son intervention à un collègue, sans égard à la confidentialité de sa situation.
– C’est toujours notre département qui doit régler les urgences. Une chance que j’étais là! Tu parles! Un mineur entré illégalement en France! Je me demande où les jeunes ont la tête...
Jan arriva à l’aéroport et réussit à trouver un siège dans un appareil d’Air Canada qui décollait précisément quarante-six minutes après l’achat de son billet. Il téléphona à Michelle et respira profondément trois fois afin de lui parler sur un ton calme et coulant. Il lui annonça d’une voix enjouée qu’il allait rencontrerNicolas le lendemain et lui demandait de prier pour que tout se passe bien.
– Il veut rentrer?
Jan fut étonné de ne pas avoir envisagé un seul instant que son fils ne veuille revenir.
– C’est ce dont je vais discuter. Il faut que je te laisse, la... la personne qui doit me conduire m’attend impatiemment.
Un homme en uniforme, debout à côté de la porte d’embarquement, lui faisait des signes d’impatience. Il lui demanda d’attendre une minute, et téléphona à M. Cohen pour lui dire uniquement de s’assurer qu’il pourrait, le cas échéant, toucher rapidement une somme importante d’argent.
– Des problèmes?
– Peut-être... Ne parlez à personne de mon appel.
Ce n’est qu’une fois assis dans l’avion qu’il s’émut de la journée qu’il venait de vivre, cent fois plus inquiet pour celle du lendemain. C’est en bouclant sa ceinture qu’il prit conscience qu’il prenait l’avion pour la première fois de sa vie et qu’il allait en quelques heures franchir l’Atlantique, dont la simple évocation le rendait nauséeux, lui rappelant son incurable mal de mer.
38
Jan, se collant le nez au hublot et voyant la Manche, se rappela la terreur d’Élisabeth lorsqu’elle avait aperçu un démineur. C’était à son tour d’être terrorisé, dramatisant toutes les hypothèses quant à l’avenir de son fils. Il n’avait cessé de chercher où il avait erré dans sa relation avec lui, voyant dans son attachement à Stanislas une raison possible de rancœur pour Nicolas qui, il l’avait toujours su, en avait pris ombrage. Il se promit de lui en reparler et de lui annoncer
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