L'envol des tourterelles
valise sous la banquette et sortit à la suite de son fils qui, à l’instar de ses cheveux, avait poussé comme une mauvaise herbe. Nicolas traversa la rue sans se retourner et se dirigea vers la station de métro Saint-Paul, devant laquelle il s’arrêta, essoufflé, s’appuyant contre un arbre. Jan jetait des regards à la dérobée, prêt à voir apparaître les truands qui allaient les emmener.
– Je ne me souvenais pas que tu avais des cheveux gris, papa.
– C’est probablement parce que je n’avais pas de cheveux gris la dernière fois que tu m’as vu.
– J’ai rencontré Stanislas.
Jan dévisagea son fils, n’ayant qu’une envie, le serrer dans ses bras pour lui dire sa joie de le retrouver, mais son fils avait perdu la tête. Il se sentit mourir de chagrin, mais sut instinctivement qu’il ne fallait pas le contredire, au risque de le perdre de nouveau.
– Il va bien?
– Comment veux-tu que je le sache? Je ne lui ai pas parlé.
Jan tenta un sourire entendu, espérant que son fils saisirait que ce comportement était normal.
– Quelle heure?
– Neuf... non... trois heures moins cinq.
– Il va arriver.
Jan frissonna, n’osant pas demander qui allait arriver. Il devinait simplement, au ton de Nicolas, que cette personne le terrorisait.
– Je ne l’ai pas quitté des yeux depuis trois jours. Ça fait trois jours que je ne dors pas. Heureusement que tu es là, papa. Quelle heure?
– Trois heures moins quatre.
– Merde! Est-ce que ta montre est arrêtée? C’est toi qui vas pouvoir savoir. Pour moi, c’était impossible. Tu as de l’argent?
Jan ferma les yeux. Les propos de son fils étaient si confus qu’il pensait déjà à se rendre à l’ambassade pour trouver un médecin qui réussirait à le calmer. Son fils était pris dans un piège qu’il ne savait identifier. La ville continuait de crier, de japper et de klaxonner. Nicolas ne l’avait pas encore regardé dans les yeux, fixant l’escalier du métro comme s’il avait peur qu’il ne disparaisse.
– Quelle heure?
– Trois heures et deux.
– Quoi? Et deux? Ce doit être le métro qui a du retard. Pas lui.
Des dizaines de personnes firent leur apparition, montant à une même cadence les marches de l’escalier. Jan regarda Nicolas et eut l’impression que ses pupilles étaient dilatées comme celles d’un prédateur à l’affût. Il se rappela qu’on lui avait dit que la drogue dilatait les pupilles et il eut envie de pleurer. Son fils était avec lui et il ne le reconnaissait presque plus.
– Le voilà!
Alors Jan aperçut Stanislas, un peu plus âgé et avec une barbe un peu plus forte. Nicolas était devant lui et le fixait, les yeux luisants de fatigue et de curiosité.
– Est-ce que c’est lui?
Jan ne comprit pas le sens de la question, mystifié par ce qu’il voyait. Puis il comprit ce que Nicolas avait pensé, se dirigea lentement vers le jeune homme, le croisa en le bousculant, et s’excusa de sa maladresse, le regard noyé dans des yeux vairons. Il se retourna vers Nicolas et fit oui de la tête.
– C’est impossible, Nicolas, impossible, mais la coïncidence est...
– Moi, je dis que c’est lui. Je le suis depuis trois jours.
– Comment vas-tu, Nicolas?
Nicolas cessa de parler, regarda son père, lui sourit de toutes ses dents un peu verdies, et répondit qu’il allait bien et qu’il avait hâte de rentrer.
– Ça fait trois jours que je joue au détective et j’ai appris qu’il était professeur de violon pour gagner sa vie, mais qu’il est violoncelliste dans un quatuor, les Quatre Cordes, qui, en ce moment, joue à la salle Gaveau les jeudis, vendredis, samedis et dimanches.
– Violoniste et violoncelliste...
– C’est quand j’ai réussi à savoir où il habitait et que je me suis informé qu’on m’a dit qu’il s’appelait...
– ... Schneider.
– Comment as-tu deviné?
Nicolas recommença à suivre l’homme, s’engageant dans la rue François-Miron et ralentissant le pas pour permettre à son père de le rejoindre, mais Jan ne le suivait plus. Il s’était assis sur le bord du trottoir, les pieds dangereusement allongés, et il pleurait comme un enfant qui vient de perdre sa mère dans une foule, secoué de gros sanglots auxquels il s’abandonnait enfin après les avoir retenus pendant près de vingt-cinq ans.Les sanglots qu’il avait tus à Élisabeth. Mais maintenant il n’avait plus besoin de la protéger, de lui raconter que la vie était
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