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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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ferait certainement avant la fin de la décennie. Anna marchait d’un bon pas et il s’efforçait de la suivre. Elle n’était dupe de rien, il en était convaincu.
    – Je n’aurai plus assez de temps pour tout faire, Jerzy. Je m’occupe des enfants, de la maison, et, dans les jardins, je fais le travail d’un homme... et demi...
    Jerzy fut étonné de voir qu’Anna avait l’air abattue et qu’elle s’opposait franchement à l’achat de la terre de M. Carrière. Il se tut, agacé d’avoir l’impression d’être obligé de demander des permissions pour faire la vie qu’il souhaitait. Sans qu’il en comprenne les raisons, il s’encoléra contre elle et lui dit qu’elle ressemblaitde plus en plus à son père, refusant tout ce qui venait de lui. Il ne pensait pas un seul mot des phrases qu’il lui lançait à la tête, mais, en la voyant décontenancée, il parla encore plus fort.
    – Il m’arrive de me demander, Anna, si toi aussi tu n’as pas un peu honte de ton boiteux.
    – Jerzy!
    – Tu me coupes tous mes rêves, Anna. J’ai quarante ans, je voudrais agrandir ma terre, tu ne veux pas. Je voudrais rentrer en Pologne, tu ne veux pas. Je ne veux pas que mon fils aille à Montréal, tu veux. Anna, laisse-moi rêver.
    – Rêver, oui, Jerzy. Mais les rêves ne coûtent rien, ne bouleversent rien. Tu me parles de projets, Jerzy, pas de rêves.
    Jerzy se tut rapidement, pris à son propre piège. Elle avait parlé de sa voix blanche de chagrin et il en avait ressenti une immense douleur dans la poitrine. Anna était trop solide, trop fière. Mais, en même temps, c’était elle qui avait planté dans le cœur de la terre manitobaine le premier pieu auquel il s’était volontairement lié.
    – Si tu achètes la terre de M. Carrière, Jerzy, est-ce que tu penses sérieusement que nous allons être plus à l’aise financièrement?
    – Oui.
    – Assez pour payer un billet à Stanislas?
    Décontenancé, Jerzy ne répondit rien. Anna s’était rapidement ressaisie et il sentait qu’elle et Élisabeth, travaillant de concert, avaient toutes les deux enfourché un rouleau compresseur. Comment pouvait-il exiger de son fils qu’il ne voie que sa tante et pas son oncle? Anna lui compliquait la vie. Elle ne cessait, depuis unan, depuis que Stanislas avait eu ses douze ans, d’attiser le feu de sa rancune.
    – Fais une offre à M. Carrière, Jerzy. Fais-lui une offre. Mais tu ne m’empêcheras pas d’acheter tout ce que je pourrai vouloir.
    Jerzy sut que le voyage de son fils était imminent et Anna entendit craquer ses mâchoires.

7
    Jan se fit la réflexion qu’ils avaient l’air d’une bande d’enfants agglutinés au haut d’un escalier mécanique pour y attendre le père Noël. Michelle tentait de tenir Nicolas par la main, mais il ne cessait de se dégager, lui jetant chaque fois un regard courroucé. Jan trouva à Élisabeth un air de mère poule aux plumes hérissées. Il se dit qu’elle-même devait remarquer qu’il faisait les cent pas, grillant cigarette sur cigarette, et chercher les raisons de son air de supplicié. Michelle, que son humeur ne laissait pas indifférente, ne savait quelle figure se composer. Nicolas les quitta quelques instants, le temps de vérifier pour la dixième fois l’horaire sur le tableau des arrivées. Il revint au pas de course.
    – Si l’horloge de la gare est à l’heure, le train va être ici dans deux minutes. Peut-être même une minute.
    Il n’avait pas terminé sa phrase que le plancher vibra et qu’une odeur de fioul mêlée à celle de la vapeur d’eau sembla poisser l’air de la cage d’escalier.
    – Et s’il arrivait par l’autre escalier?
    – Ta tante Anna lui a dit de prendre l’escalier roulant.
    – Mais si jamais...
    Jan interrompit son fils, lui suggérant d’aller à l’autre escalier s’il avait si peur de rater son cousin. Nicolas chercha l’assentiment de sa mère avant d’allerse planter à l’autre point d’arrivée. Il revint en courant leur annoncer que les premiers voyageurs montaient déjà et repartit aussitôt. Jan s’alluma une autre cigarette à même son mégot et alla rejoindre son fils, dont il prit la main. Nicolas le regarda, se demandant pour quelle raison son père avait fait cela. Il n’osa retirer sa main, se sentant soudainement prisonnier de son âge; son cousin douterait certainement de ses onze ans.
    – Est-ce parce que tu me trouves bébé que tu me prends la main?
    Jan la laissa

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