L'envol des tourterelles
annoncer la visite de Stanislas.
Depuis qu’ils étaient rentrés de la gare, Nicolas n’avait cessé d’accaparer son cousin, lui montrant sa chambre et ses jouets, ses manuels scolaires, ses cahiers et son violon. Stanislas, empêtré dans son filet de politesse, avait déclaré que la chambre était parfaite: «Elle est plus grande que la mienne»; que les jouets étaient semblables à ceux qu’on trouvait au Manitoba: «Mais je n’en ai jamais vu autant»; que les livres étaient complètement différents: «Les nôtres sont presque tous en anglais»; que les cahiers étaientbien propres et d’une belle écriture: «Ma sœur est un peu comme toi»; que son violon était très beau.
– Est-ce que tu lui as raconté, mon oncle, l’histoire de la sauterelle qui était entrée dans le violon de mon père?
– Non.
– Il paraît que c’est arrivé l’année que je suis né. Mon père joue bien du violon, mais il en joue surtout le dimanche. Moi, je n’en joue pas, ma sœur non plus. Je joue du piano et ma sœur un peu aussi, mais elle, elle veut devenir une grande chanteuse. Peut-être même une chanteuse d’opéra. Tu joues du violon, mon oncle?
– Mon père ne sait pas jouer. Moi, oui. C’est ma tante Élisabeth qui est mon professeur.
– Tu ne sais pas jouer, mon oncle? Ma mère m’a dit que tu savais. Que tous les Pawulscy savaient.
– Mon père est un Aucoin. C’est pour ça qu’il ne sait pas jouer.
– Non, Nicolas.
Jan avait regardé Stanislas et venait de mesurer les conséquences de la présence chez eux d’un autre membre de la famille. Il lui faudrait peser ses paroles et ses actes s’il ne voulait pas que Montréal galope jusqu’au Manitoba à cheval sur l’écho de Stanislas.
– Fais-moi penser de t’expliquer l’histoire de mon nom. Quand nous serons seuls.
– Ton nom a une histoire?
– Nous en reparlerons, fils.
Nicolas rougit de bonheur de s’être fait appeler fils – c’était la première fois – et arbora un air de reconnaissance tel que Jan en fut décontenancé et les pressa de se mettre en route. Stanislas semblait perplexe, se demandant s’il avait commis un impair en parlantde son père. Pour estomper cette possible erreur, il ne cessa de s’extasier devant tout ce qu’il voyait. Il avait déjà remarqué, en sortant de la gare, les plaques des automobiles, différentes de celles du Manitoba, et était resté bouche bée devant les néons de couleur qui s’animaient. Maintenant, il trouvait que les gens avaient l’air différents.
– On ne s’habille pas comme ça au Manitoba et les filles ont une frange frisée. Pas une frange toute crêpée comme ici. Et les filles, chez nous, n’ont pas les yeux barbouillés comme ici.
– Ici, elles veulent probablement ressembler à Brigitte Bardot.
– Chez nous, elles aiment mieux Marilyn Monroe.
– Est-ce que tu passes ton temps à regarder les filles, toi?
Nicolas avait l’air complètement découragé et, pour la première fois, il avait réussi à décontenancer son cousin. Jan refréna un sourire, se délectant à les écouter tous les deux. Il ne sentit presque pas le filet de regret qui se glissa dans sa poitrine à la pensée de l’absence de complicité entre lui et son frère.
Stanislas demeura pantois. Jamais il n’avait imaginé que l’épicerie de son oncle fût une vraie épicerie. Une épicerie comme il en voyait à Winnipeg. Nicolas, feignant d’être un habitué des lieux, passa derrière le comptoir pour enfiler un tablier et se mettre un crayon gras sur l’oreille. Le tablier était beaucoup trop long, mais il ne s’en formalisa pas. L’important était de montrer à son cousin qu’il était chez lui. Jan mit une bonne demi-heure à expliquer les lieux à son filleul, cequi n’agaça pas Nicolas puisque six clients passèrent à la caisse et qu’il rendit la monnaie seul, sans l’aide du gérant, qui avait compris qu’il ne devait pas s’étonner de sa présence. Jan conduisit Stanislas dans l’immense pièce froide où pendaient les quartiers de bœuf et de porc ainsi que les volailles, et où la saucisse et le boudin avaient été déposés dans d’immenses récipients.
– Je n’aime pas les chambres froides des bouchers.
– Ah non? Pourtant, vous abattez vos animaux...
– Plus maintenant. Ma mère n’a jamais aimé ça. C’est un voisin qui le fait pour nous.
– Comment va ta mère, Stanislas?
Stanislas s’étonna de la question. Il lui
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