L'envol des tourterelles
paraissait évident que son oncle devait savoir comment allait sa mère.
– Ma mère va bien. Mon père aussi, mais lui est sévère. Ma mère, beaucoup moins. Mon père est beaucoup plus strict. Il a... nous avons pu avoir un autre billet de train. Ma mère a dit que nous l’avions jeté par erreur. Le Canadien National nous en a émis un nouveau.
– C’est bien. J’ai appris que ton père n’était pas trop en faveur...
– C’est ce que je dis. Mon père est strict.
Sans ajouter un mot, Stanislas frissonna pour faire comprendre que la glacière – ou était-ce la conversation? – lui donnait la chair de poule. Jan ne put s’empêcher de lui passer une main dans la chevelure et de l’attirer vers lui pour l’embrasser. Stanislas n’offrit aucune résistance.
– Je suis tellement heureux, tellement heureux que tu sois à Montréal!
– Moi aussi.
Nicolas les vit revenir, le sourire aux lèvres. Il avait rendu la monnaie six fois.
– Et la troisième fois, ç’a été assez compliqué parce que ç’a coûté quatre dollars et soixante-deux et qu’il m’a donné cinq dollars et deux.
Jan le félicita si distraitement que Nicolas accrocha son tablier et sortit de l’épicerie. Le gérant fut le seul à le voir partir.
8
Stanislas fit la rencontre de Florence chez Élisabeth. Jamais il n’avait vu des cheveux aussi roux et aussi soyeux, ni un teint aussi rose. Il mit certainement une bonne heure avant d’oser la regarder une deuxième fois. Florence l’observait d’un air moqueur et Stanislas regretta de ne pas avoir vingt ans. Ils mangèrent devant une Élisabeth dépassée par la profondeur des sentiments qu’elle éprouvait pour ces jeunes. Nicolas avait refusé de se joindre à eux, et Michelle et Jan l’avaient emmené au restaurant. Depuis l’arrivée de Stanislas, il y avait des jours où Nicolas rayonnait de plaisir de ne plus être enfant unique, et d’autres jours, plus pénibles, où, profitant de l’absence de son cousin, il descendait au sous-sol et s’amusait avec son train quand il ne chevauchait pas le dossier de son vieux fauteuil.
Élisabeth avait préparé des spaghettis, sachant que Florence en raffolait et que Stanislas les trouvait «différents» de ceux de sa mère.
– Vous mangez des spaghettis, au Manitoba?
Florence avait parlé d’un ton si condescendant qu’Élisabeth fronça les sourcils, étonnée de voir sa protégée agir de la sorte.
– C’est qu’on ne sait jamais. Peut-être qu’il n’y a pas d’Italiens, là-bas. C’est tellement loin de l’Europe!
Élisabeth regarda Stanislas rougir jusqu’à la racine des cheveux.
– Savais-tu, Stanislas, que si ton oncle n’avait pas mangé de spaghettis chez
Da Giovanni
, je serais peut-être encore au Manitoba?
Elle raconta en détail la crise d’appendicite de Jan et l’opération qu’il avait subie de toute urgence à l’Hôtel-Dieu. Florence l’écoutait, les yeux plissés, un sourire narquois accroché à la commissure gauche de ses lèvres.
– Ce n’est pas ce soir-là que tu as rencontré le docteur Boisvert?
Élisabeth sursauta. Florence ne cessait jamais de mettre son amitié et sa fidélité à l’épreuve. Dépossédée de son exclusivité, elle voyait maintenant Stanislas lui enlever une autre parcelle d’attention. Élisabeth avait compris que Florence avait toujours connu sa liaison avec Denis, aussi ressentit-elle un insidieux malaise. Elle voulait empêcher Florence de saupoudrer la conversation d’allusions.
– Tu as une mémoire exceptionnelle, Florence. Le docteur Boisvert est celui qui a mis Nicolas au monde.
– Ah bon!
– Et Florence et moi faisons, depuis des années, des petits concerts durant la période des fêtes à l’hôpital où il travaille. Florence y est devenue une grande vedette et tout le personnel la connaît. Je peux même dire qu’un Noël sans elle leur paraîtrait triste.
– Surtout au docteur Boisvert. Depuis le temps qu’on le connaît, c’est comme s’il faisait partie de la famille.
Élisabeth sentit son cœur s’enfoncer davantage dans la crainte d’une indiscrétion. Elle avait cru que lesdix-huit ans de Florence l’aideraient à acquérir une certaine maturité, mais Florence demeurait enfant. Un jour de lassitude, Florence lui avait déjà expliqué qu’elle vivait la plus grande partie de son temps en adulte, déchiffrant des partitions d’adulte, travaillant autant d’heures qu’un adulte, faisant corps
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