L'envol des tourterelles
dans l’orchestre d’Élisabeth.
– J’imagine.
– Est-ce que tu sais que je suis premier violon?
– Oui.
Elle se racla la gorge un peu avant de poursuivre d’une voix beaucoup moins assurée:
– C’est difficile d’être premier violon. Et d’être la grande amie d’Élisabeth. On dirait que les autres sont un peu jaloux.
– C’est peut-être parce que tu joues mieux qu’eux et que les grands orchestres t’invitent.
Stanislas disait des mots qu’il n’avait pas pensés. Il aurait voulu lui dire que les autres étaient probablement trop intimidés. Les filles parce qu’elle était trop belle, et les garçons pour la même raison. Il aurait voulu lui dire qu’il y avait des filles dans sa classe qui étaient trop belles et trop intelligentes, et que c’étaient elles qui étaient toujours seules. C’est tout cela qu’il aurait voulu lui dire, mais il ne sut comment. Il se leva donc et se pencha pour lui prendre la main, qu’il embrassa comme sa mère le lui avait montré. Florence le laissa faire en souriant de plaisir.
– Encore, Stanislas.
Il fronça les sourcils et vit qu’elle était sérieuse. Il se pencha donc de nouveau, mais, pour ne pas avoir l’air trop inexpérimenté, posa un genou par terre, ce qui le rapprocha d’elle. Il lui reprit la main et l’embrassa de nouveau. Florence cessa de sourire et le regarda.
– Même si tu as l’air d’avoir quinze ans, tu n’auras jamais plus de treize ans. En tout cas, pas cet été. Parce que si tu avais eu quinze ans, j’aurais pu m’attacher les cheveux en couettes et me mettre des rubans, et je n’aurais pas eu l’air tellement plus vieille que toi. C’est dommage. Parce que j’aurais aimé ça que tu sois mon ami. Mon violon aussi.
– Qu’est-ce que ton violon...?
– Mon violon aussi se serait mis des rubans et aurait aimé que tu sois son ami.
Stanislas se savait rouge coquelicot, mais une petite voix, qui, elle, ne muait pas, lui disait qu’il pouvait s’approcher d’elle. Il s’avança donc doucement, comme le lui avaient enseigné les chats qui veulent monter une chatte. Florence ne griffa pas. Elle s’abandonna la tête sur le dossier du divan et entrouvrit maladroitement les lèvres pour accueillir le baiser qu’il y posa. Stanislas sentit sa poitrine frissonner. Il cessa aussitôt et s’excusa. Florence se redressa elle aussi, l’air plus coquin que contrit.
– Merci.
Stanislas ne comprenait pas qu’elle puisse le remercier.
– Merci d’avoir apporté l’épicerie.
Il sut qu’elle venait de lui signifier son congé et partit rapidement, troublé et penaud de n’avoir pas su bien embrasser une femme aussi belle qu’elle.
Le 31 juillet arriva au galop et Stanislas dut boucler ses valises. Seul Nicolas ne semblait pas trop attristé par son départ. La veille, ils avaient fait une fête à laquelle avaient pris part non seulement son oncle et ses tantes,mais aussi l’oncle de Michelle, gérant de l’épicerie mère, et Florence, belle à croquer et qui ne le regarda qu’en catimini, espérant que leur secret ne se percevrait pas. Depuis qu’il l’avait embrassée, elle avait toujours été gentille et n’avait plus fait de commentaires sur sa taille ni sur son accent. Seul Nicolas parlait encore occasionnellement de ses biceps. Stanislas n’avait pu assister aux répétitions de l’orchestre d’Élisabeth, les musiciens étant en congé pour les vacances. Ils n’étaient retournés qu’une seule fois à Oka et il n’avait pas apporté son maillot, sachant que Florence, à cause de son pied, ne pourrait se baigner.
Stanislas termina donc son séjour dans des vapeurs qu’il ne savait identifier. Seuls les adultes avaient reconnu les premiers soupirs du désir. Il ne vit pas ses dernières heures montréalaises, bousculé entre ses quelques livraisons pour l’épicerie – il avait énormément de difficulté à dire adieu à ses bons clients – et son dernier repas avec Jan, sa tante et son cousin. Dans une espèce de demi-conscience, il se retrouva dans le wagon, précédé de son oncle, à chercher sa place pour y déposer son bagage sous la banquette et s’installer d’un air nonchalant. Du quai, Nicolas et Michelle les avaient suivis et Stanislas se trouvait un peu idiot d’agiter la main dans la fenêtre alors que le train était encore en gare, à quinze minutes de son départ. Jan s’assit devant lui et le regarda intensément. Il avait été plus que ravi
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