L'envol des tourterelles
d’accueillir son neveu et enchanté de le savoir travaillant, débrouillard et généreux. Si Michelle en avait pris ombrage au début du séjour, elle s’était rapidement rassurée, estimant elle-même ce neveu plus que les siens, qu’elle trouvait mollassons. Jan la regarda à travers la fenêtre et luisourit. Sans elle, il aurait eu plus de difficulté à défaire son baluchon à Montréal.
– C’est quelqu’un de bien, ta tante Michelle. Dommage qu’Élisabeth ait été retenue, mais je t’ai dit qu’elle t’embrassait...
– Oui. Moi aussi, je l’embrasse.
Stanislas regarda son oncle et se demanda pour quelle raison lui et son père ne se parlaient plus. Il était mal à l’aise face à ses propres sentiments, respectant son père, certes, mais admirant son oncle, peut-être de façon démesurée. Il avait déjà commencé à préparer son retour pour l’année suivante et se demandait s’il était normal qu’il se sente chez lui à Montréal, parfois même plus qu’à Saint-Norbert.
– Je peux toujours revenir l’an prochain, mon oncle?
– Évidemment. Et je vais voir si ta mère se sent prête à accueillir Nicolas.
– Oui, c’est certain que oui. Ça serait extraordinaire! Juillet à Montréal, août à Saint-Norbert... Est-ce que Sophie va pouvoir venir ici, elle aussi?
Jan avait négligé cette possibilité. Où allaient-ils la loger? Il interrompit ses réflexions, conscient qu’il se créait des problèmes avec des riens. Toute pensée le distrayait du chagrin sournois qui s’était immiscé dans ses fibres familiales. Il aurait volontiers hébergé Stanislas toute l’année, lui offrant une meilleure école que celle qu’il fréquentait au Manitoba. Son neveu lui avait confirmé que son père refusait de l’inscrire au collège de Saint-Boniface parce que les cours étaient en français, ce qui lui ferait prendre du retard. Jerzy aurait aussi dit qu’un fils de cultivateur n’avait pas besoin du grec ni du latin pour savoir semer et récolter. Jan avaitété étonné de cette remarque, qui allait à l’encontre de tous les principes inculqués par leurs parents. Tomasz et Zofia s’étaient certainement retournés dans leur fosse.
Le conducteur invita les gens qui n’étaient pas des passagers à sortir du train. Jan se leva à contrecœur, retrouvant dans l’odeur du wagon l’agréable souvenir de sa décision de venir au Québec. Stanislas se leva aussi et n’offrit aucune résistance à l’étreinte de son oncle. Son père ne le prenait jamais dans ses bras comme Jan venait de le faire.
– J’ai des projets pour toi, Stanislas.
– Et moi, je veux te dire que si tu veux que j’aille travailler dans toutes tes épiceries, il faudra que tu les disposes toutes de la même façon. Comme ça, en en connaissant une, je les connaîtrai toutes et je n’aurai pas l’air idiot et perdu.
Jan, étonné et ravi de la suggestion, plissa les sourcils et serra encore son neveu dans ses bras. Il le voyait déjà à ses côtés, contrairement à Nicolas qui ne manifestait aucun intérêt pour l’épicerie, préférant le jeu et le plein air.
– Embrasse ta mère pour moi.
– Et mon père...?
– Ton père?
– Je l’embrasse, lui aussi?
Jan ne répondit rien et Stanislas lui dit qu’il le ferait uniquement quand il le lui demanderait.
– Je pourrais peut-être lui apporter une lettre.
– Je n’en ai pas.
Le train glissa doucement dans la gare et Stanislas se tenait près de la porte, la valise à ses pieds. Il aperçutsa famille sur le quai et fut plus qu’heureux de les revoir. Sophie avait grandi, sa mère portait sa jolie robe fleurie et son père s’était endimanché. La ressemblance entre son père et son oncle lui fit plaisir à voir. Il ne se sentirait pas trop éloigné de son parrain. Le
porter
ouvrit enfin la porte et il sauta sur le quai. Sa mère se précipita pour l’embrasser.
– C’est incroyable comme tu as changé, Stanislas! Qu’est-ce qui t’est arrivé?
– Moi, je trouve que tu essaies de ressembler à un chanteur américain. Comme ton Elvis Presley. Depuis quand est-ce que tu te mets du
Brylcreem
dans les cheveux? On dirait que tu as quinze ans. Peut-être même seize.
Stanislas tira une mèche de la frange de sa sœur pour la faire taire avant de prendre la main tendue par son père. Il se demanda pourquoi il se sentait incapable de l’embrasser comme il avait embrassé son oncle. Ce soir-là, il s’endormit
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