L'envol des tourterelles

suivait le mouvement du train. Jamais il n’avait osé lui parler de Marek ou des horreurs dont lui et Élisabeth avaient été témoins, mais son frère, semblait-il, n’avait pas nourri ce scrupule. Il pensa d’ailleurs que Nicolas avait bien compris ce qu’avait été ce train de «prisonniers» et se dit qu’il aurait pu lui-même mieux instruire son fils.
    Jan stationna devant la maison et klaxonna à deux reprises. Nicolas apparut à la fenêtre, puis disparut pour réapparaître au haut de l’escalier, suivi d’une Michelle toute joyeuse.
    – Quelle surprise! Tu arrives tôt pour le souper.
    – Montez. J’ai quelque chose à vous montrer.
    Michelle et Nicolas se regardèrent, hésitants, haussèrent les épaules en s’interrogeant des yeux, puis descendirent l’escalier et montèrent dans la voiture. Jan les conduisit jusqu’à l’angle de la rue Nelson et du boulevard Saint-Joseph et stationna devant lamaison voisine de celle d’Élisabeth. Michelle lança un autre regard interrogateur à Nicolas, qui ne semblait pas comprendre mieux qu’elle les motifs de son père. Jan coupa le moteur et demanda à Michelle si la maison lui plaisait. Craignant un déménagement, elle répondit par un faible oui. Jan sortit de la voiture et se planta devant le trottoir menant à la porte principale, invitant Michelle et Nicolas à le suivre. Il examina la façade de la maison, puis le côté et enfin l’arrière, faisant des commentaires tous plus déroutants les uns que les autres.
    – Puis?
    – Puis quoi, Jan?
    – Est-ce qu’elle te plaît?
    – Mais oui. C’est une maison extraordinaire. Tu ne veux pas me dire que nous allons déménager, j’espère.
    – Peut-être. Mais peut-être que je veux aussi te dire que nous pourrions avoir une belle maison de deux étages, avec un salon double, une salle à manger, une grande cuisine, un séjour, quatre chambres à coucher, un bureau, un sous-sol presque aménagé avec une salle de bains complète...
    – Pourquoi est-ce que c’est «peut-être» ce que tu veux nous dire?
    Jan lui prit la main, sortit un autre trousseau de clefs et se dirigea vers la porte, qu’il déverrouilla. Celle-ci s’ouvrit sur un hall aux murs de plâtre travaillé, aux boiseries vernies. Ils s’avancèrent, presque avec recueillement, dans une pièce dont le plancher laissait deviner l’emplacement des anciens tapis, et les murs, les cadres qui y avaient été suspendus. Ce fut Nicolas qui, le premier, fit une remarque, décrivant sans enthousiasme l’immense baignoire de la salle de bains.
    – Une vraie piscine!
    Il découvrit ensuite l’escalier menant au sous-sol, y descendit, en fit vite le tour et remonta pour informer sa mère qu’il y avait un lavoir avec deux cuves, des tuyaux peints de couleur aluminium, et une pièce qui était presque aussi grande que leur présent salon. Michelle parut de plus en plus déçue.
    – Et j’ai vu une porte pour aller dans la cour.
    Jan, lui, semblait si heureux qu’il ne voyait même pas grandir le malaise de Michelle. Il était le plus excité des trois, se pâmant sur la robinetterie de la salle de bains, sur les cuves sans rouille du lavoir, sur le beau bureau qui comportait, comme la salle à manger, des étagères vitrées et encastrées, sur les pâtisseries décorant le plafond du salon double et, à l’étage, celui de la chambre à coucher des maîtres, ainsi que sur les étagères fixes de l’une des chambres secondaires. Nicolas regarda le tout d’un œil qui s’éteignait à la même vitesse que s’allumait celui de son père.
    – Si j’avais été jeune, j’aurais aimé une chambre comme celle-ci.
    – Tu ne l’aimes pas?
    – Non. À mon âge, on préfère le sous-sol pour écouter la musique qu’on veut.
    – Nicolas et moi, nous avons décidé de déménager sa chambre au sous-sol.
    – Oui, mais ici il y a quatre chambres.
    – Moi, j’aime mieux être dans un sous-sol.
    Jan serra les lèvres et joua avec son trousseau de clefs. De retour au rez-de-chaussée, il se dirigea vers la porte et leur demanda s’ils voulaient partir. Michelle et Nicolas le suivirent sans discuter et montèrent dans la voiture sans faire un seul commentaire sur la maisonqu’ils venaient de visiter. Jan était mal à l’aise, cherchant quelle erreur il avait commise et comment il devait s’y prendre pour leur annoncer que cette jolie maison leur appartenait.
    Ils rentrèrent chez eux, Michelle et Nicolas avec une tête