Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
Vom Netzwerk:
autobus sur la route Ottawa-Montréal.
    – Pas vu.
    – Je suis venu tout de suite. Mon bouton-d’or, qu’est-ce qui m’arriverait si je te perdais?
    Il prit doucement la tête d’Élisabeth et lui caressa les tempes et les cheveux, à la ligne du front. Son geste était d’une telle douceur qu’elle le regarda, les yeux imbibés de reconnaissance. Il lui était de plus en plus difficile de trouver une oasis dans la tempête de ses amours. Si elle aimait Denis plus qu’elle ne l’avait jamais aimé, elle se sentait parfois incapable de voir en lui un amoureux transi depuis qu’elle avait fait larencontre de son extraordinaire épouse. Elle savait que Florence avait compris son trouble, mais Denis n’avait rien remarqué. Elle faisait donc des cauchemars dans lesquels il apparaissait tantôt avec une barbe bleue, tantôt au sein d’un harem. Elle savait bien qu’elle avait atteint le seuil de la porte fermée aux maîtresses, celle qui donnait sur des projets et un avenir. Elle lui prit encore la main, mais ce fut pour l’entraîner vers la chambre. Il la suivit sans discuter, mais elle le vit jeter un coup d’œil à sa montre. Cette montre maudite qui chronométrait toutes leurs rencontres. S’il y avait des femmes prisonnières derrière des barreaux, elle se sentait prisonnière de la minuterie et de sa trotteuse qui ne s’essoufflait jamais. Elle s’arrêta net, relâcha la main et soupira.
    – C’est gentil d’être venu m’attendre. Mais rentre chez toi, mon amour, parce que ce soir j’ai faim pour une nuit entière. Je ne saurais me sevrer et te laisser partir.
    Denis ne bougea plus, regarda de nouveau sa montre, puis en détacha le bracelet et la lança en direction du canapé. Il poussa gentiment Élisabeth vers la chambre, où ils entrèrent en s’enlaçant comme des boas, pensa-t-elle. Elle se demanda, le temps d’un éclair, lequel des deux était la victime. Repus, ils s’endormirent au petit matin, heureux de constater que la neige n’avait cessé de tomber et qu’elle étouffait tous les sons de la ville qui auraient pu leur indiquer l’heure.

14
    Le printemps de 1965 faisait languir les Montréalais, qui se demandaient si les arbres verdiraient ou s’ils feraient la grève jusqu’à l’automne pour ne pas fabriquer de feuilles en vain. Jan rentrait à la maison au volant de sa familiale de marque Pontiac, modèle de l’année précédente. Il avait hâte de faire la surprise à Michelle et à Nicolas qui, depuis sa triste aventure de l’été précédent, avait demandé de jeter son vieux fauteuil et de remiser son train. Jan en avait été un peu chagriné, aimant bien s’étendre à plat ventre près de son fils pour faire fonctionner l’aiguillage du mini-réseau ferroviaire et inventer des itinéraires. Depuis des années, il s’était servi de ce train pour lui apprendre la géographie et l’histoire, sans omettre celle de leur famille. C’est ainsi qu’il lui avait expliqué le trajet qu’Élisabeth et lui avaient effectué, partant de Cracovie, traversant les Carpates, gagnant l’Allemagne, puis traversant l’Atlantique par bateau pour ensuite prendre le train jusqu’à Winnipeg. Il avait aussi fait voyager le train en France, de Paris à Marseille, et en Grande-Bretagne, de Londres à l’Écosse, trichant un peu en mettant locomotive et wagons sur un traversier pour atteindre l’Irlande. Il avait même été capable, quelques mois après le retour de son fils du Manitoba et à sa demande, de suivre les rails de la Pologne à la Russie et jusqu’en Afrique duNord en passant par l’Iran et l’Irak, et de là jusqu’en Italie et en Angleterre, pour, une fois encore, franchir l’Atlantique, traverser les Maritimes, le Québec, faire un arrêt à Toronto pour vendre des sapins et aboutir à Winnipeg. Ce dernier voyage lui avait donné énormément de difficultés, surtout lorsqu’il avait lui-même pris conscience que la survie de son frère tenait presque du miracle et que, à sa façon, il était une espèce de héros. Jan avait reconnu chez son fils la fierté démesurée que lui-même avait ressentie pour son frère, surtout lors de ce combat mémorable où il avait mis knock-out les garçons de Beauséjour. Jan avait essayé de ne pas réagir à la description qu’avait faite Nicolas du bétail humain emmené de Pologne en Russie. Il avait presque entendu tomber les gouttes de sœur des passagers et senti l’urine qui, sur le plancher,

Weitere Kostenlose Bücher