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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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eu à choisir entre les petits cris, ô combien féminins, de sa femme, destinés uniquementà valoriser sa virilité, et ses cris à elle, étouffés par l’horreur de ses souvenirs de sang et de mort. Si elle avait osé les raconter, cela n’avait jamais été fait pour l’attendrir ou le retenir, mais par honnêteté et par besoin d’un réel réconfort. Une partie d’elle-même serait pour toujours polonaise et cette partie était rarement joyeuse.
    Le soleil s’était alangui sur le lac, les laissant tous deux confondus devant sa majesté. Ils tirèrent la chaloupe sur le sable gris de la plage et la retournèrent pour éviter qu’elle ne s’emplisse d’eau de pluie et afin de protéger les rames. Ils rentrèrent ensuite à l’auberge, apportant évidemment la canne à pêche dont Denis avait prudemment piqué l’hameçon dans un bouchon de liège.
    – La dernière fois que j’ai vu une canne à pêche, c’était au Manitoba. Je t’en ai déjà parlé. C’était le jour où la foudre a frappé la charrette de foin derrière laquelle se tenait mon frère Jan.
    Elle savait que Denis ne répondrait rien. Chaque fois qu’elle levait une pierre et qu’ils voyaient un cadavre dessous, Denis s’entourait de silence, préférant penser à la mort de façon clinique, elle en était convaincue. Elle s’interdisait toujours de lui redire la fusillade dont ses parents et son jeune frère avaient été victimes; la mine cachée dans un champ de fraises, devenu le cimetière de Marek. Il lui semblait que les années lui avaient donné d’autres mots et un autre point de vue, mais elle n’osait plus. Elle ne pouvait plus transporter la guerre ici, encore moins maintenant qu’ils avaient célébré le vingtième anniversaire de la fin des hostilités.
    Ils mangèrent en tête-à-tête, véritable festin arrosé uniquement par le plaisir d’être seuls. Ces soiréesétaient si rares qu’elles revêtaient un caractère presque solennel, sacré. Ils se régalèrent jusqu’à ce qu’ils ne trouvent plus rien d’autre à dire que leur hâte de dormir dans cette chambre qui, sa fenêtre ouverte sur des cèdres et des pins, embaumerait le sous-bois où leurs amours avaient meilleur goût, si cela se pouvait, qu’à Montréal. Ils furent ravis d’entendre le hululement d’un hibou, certainement perché au haut d’un pin.
    – C’est un
sol
dièse.
    – De quoi parles-tu?
    – De la note du hibou.
    Denis sourit en expirant par le nez, toujours émerveillé par les connaissances musicales d’Élisabeth.
    – Je me demande si tous les hiboux chantent sur la même note; s’il y en a qui ont une plus belle voix que d’autres.
    – Je n’en sais rien. Je ne sais pas plus reconnaître le chant des oiseaux que les espèces de poissons. En fait, je ne connais pas les espèces d’oiseaux, et, crois-moi ou non, je ne reconnais pas non plus les essences des arbres et c’est tout juste si je sais faire la différence entre une tulipe et une jonquille. Ce qui m’aide, c’est que la jonquille est toujours jaune. Mais entre une jonquille et une tulipe jaune, je suis perdu. Les roses, je sais, parce que ma f...
    – Tu peux le dire, Denis. Parce que ta femme aime recevoir des roses.
    Elle aurait voulu parler sans émotion, d’une voix indifférente, mais, depuis qu’elle avait rencontré l’épouse de Denis, elle en était incapable. Elle frissonnait toujours quand il parlait d’elle. Elle acceptait ces égarements s’ils étaient à table ou s’ils faisaient une promenade, mais de la savoir dans ses penséesalors qu’ils étaient au lit la rendait malheureuse de façon indescriptible. La maladresse de Denis venait d’éteindre son désir. Elle enleva doucement la main qui lui couvrait le sein, en embrassa chacun des doigts pour ne pas le froisser, lui dit être épuisée et se retourna lentement, prenant soin de replacer le drap sur son épaule qu’il avait découverte. Denis se leva et alla à la fenêtre avant d’enfiler un pantalon et une chemise. Il sortit de la chambre sur la pointe des pieds. Élisabeth s’assit aussitôt, le cœur galopant, se demandant si elle n’avait pas commis une erreur irréparable. C’était la troisième fois en quinze ans que son corps se désistait, rétrécissant au point de se refermer.
    Denis revint près d’une heure plus tard. Elle était toujours assise, les yeux si habitués à l’obscurité qu’elle le distingua parfaitement. Il alla à la salle de

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