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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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à la vue des rails de chemin de fer.
    – Des trains? À la porte?
    – Mais oui. Le fret arrive directement des États-Unis ou de l’Ouest canadien. Si vous saviez combien l’entrepôt peut sentir bon l’orange quand on vide les wagons de leurs caisses chargées en Floride.
    – L’orange?
    – Oui, l’orange. Le parfum est indescriptible.
    L’avocat s’assombrit et Jan comprit que les frères Cohen ne vendaient peut-être pas leur entreprise de gaîté de cœur. Il se dit qu’il pourrait certainement tirer profit de leur inconfort financier, puis, voyant que Michelle avait deviné ses pensées, il les corrigea, se promettant de payer un juste prix. Ces lieux le séduisaient et il faisait d’énormes efforts pour cacher son excitation. Tout cela ressemblait à l’Amérique de l’oncle Sam, même si Sam était peut-être un Samuel Cohen. Tout cela ressemblait aux rêves de M. Favreau et il lui demanda de l’éclairer dans la négociation. Puis soudain, sans réfléchir, il poussa à son tour un gloussement de joie, prit Michelle dans ses bras en la faisant tournoyer, la félicita pour sa perspicacité et l’embrassa bruyamment sur la joue avant de la déposer par terre. Nicolas était gêné par une telle attitude qui ne correspondait pas à l’idée qu’il se faisait de la joie d’une vieille personne, et M. Levy fut si surpris et décontenancé qu’il ne résista pas à l’enthousiasme de Jan et se mit à parler rapidement, vantant le système de réfrigération et l’approvisionnement en glace, qui venait des Thibault de Pointe-Saint-Charles. Il parla aussi des gens du quartier qui avaient travaillé ici pendant presque toute leur vie.
    – Des hommes capables, monsieur Aucoin. Des hommes qui connaissent leur travail.
    M. Levy revint vers les bureaux et entra dans le plus grand, puis ouvrit la porte secrète des cabinets, cachés derrière un panneau du mur. Nicolas éclata de rire. M. Levy fit pivoter un second panneau et ils virent le coffre-fort.
    – Ma foi, on se croirait dans la maison d’un mafioso!
    M. Levy hésita avant de rire à son tour, mais il s’était pris d’une soudaine estime pour Jan et fut convaincu qu’il n’y avait aucun sous-entendu dans cette phrase. Non, il n’y avait rien de plus que le plaisir.
    Le dimanche 3 avril, alors que la neige avait permis aux crocus de s’ouvrir, Jan était assis chez un notaire qui avait accepté de travailler un dimanche, les Cohen refusant de le faire un samedi, jour du sabbat, et Jan étant trop occupé les jours de semaine pour s’absenter des épiceries. M. Levy avait proposé cette solution, acceptée de tous. Il était présent lui aussi à titre de témoin et l’atmosphère était cordiale, quoique Jan ressentît la tristesse des Cohen. Il avait été étonné de les voir, tout de noir vêtus, avec leur longue barbe, leurs cheveux entortillés autour des oreilles et leurs chapeaux de fourrure qui devaient être beaucoup trop chauds en ce magnifique jour de printemps. L’aîné s’essuyait les yeux sans cesse et Jan se demandait si c’étaient des larmes de vieillesse ou des larmes de chagrin. Le puîné, celui qui avait quatre-vingts ans, souffrait visiblement de la maladie de Parkinson et c’est d’une main tremblante qu’il tournait les pages de l’acte de vente. Le notaire en faisait la lecture en anglais et Jan demandait parfois une précision lorsquele sens d’un mot lui échappait. La lecture fut longue, la vente comprenant non seulement les bâtiments mais tout l’inventaire, sans omettre l’achat de la clientèle. Si Jan se sentait affolé par l’ampleur qu’allait prendre son entreprise, il essayait de n’en rien montrer. Ils mirent plus de quatre heures à tout finaliser et Jan crut souventes fois que l’aîné des frères s’était endormi. Mais chaque fois que quelqu’un posait une question ou soulevait une faible objection, l’homme ouvrait les yeux et répondait sans faire une seule erreur. Jan était impressionné par la rapidité avec laquelle il pouvait calculer, et encore plus par la mémoire du cadet, qui se souvenait de tous les chiffres inscrits au registre depuis le début du siècle.
    Jan avait fait une offre honnête et, à son grand étonnement, les Cohen n’avaient pas fait de contre-offre. Il en avait presque été mal à l’aise, se demandant si les frères acceptaient parce que le montant était celui qu’ils avaient espéré ou parce qu’ils n’avaient plus la force de

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